Thanks to Mattia Faloretti

[Traduit d’un texte écrit par Culadasa [1]Deux chapitres ont été omis: les 5 Agrégats, et les Douze Maillons de l’Origine Interdépendante., l’auteur principal de l’excellent manuel The Mind Illuminated. Le texte original se trouve ici, le site de l’auteur se trouve ici.]

Introduction

Le Bouddha enseignait, dans ses propres termes, « la Souffrance et la fin de la Souffrance».Il n’avait pas l’intention d’établir une religion, ni d’enseigner la philosophie, la cosmologie et la métaphysique, ce qu’il a répété à maintes reprises.

En fin de compte, cependant, la fin de la souffrance implique une sorte de sagesse qui englobe à la fois la nature de l’expérience humaine et la nature ultime de la réalité. Et la fin de la souffrance, la nature de l’expérience humaine et la nature ultime de la réalité sont des questions clés en religion, philosophie, cosmologie et métaphysique. Il n’y avait donc aucun moyen pour lui de guider les gens vers la fin de la souffrance sans aborder des sujets associés à tous ces domaines. En conséquence, depuis avant même sa mort, les gens ont transformé ses enseignements de sagesse en religions et les ont utilisés comme base pour une variété de philosophies, cosmologies et descriptions métaphysiques de la réalité.

Alors que le Bouddhadharma devient plus largement connu et apprécié en Occident, nous nous retrouvons attirés par de nombreuses idées qui ont une application directe à notre expérience du 21ème siècle. Inévitablement, nous voilà en train de nous tourner vers ces enseignements pour y trouver des réponses à nos propres questions religieuses, philosophiques et métaphysiques. Avant de le faire, cependant, nous devons essayer de comprendre, aussi clairement que possible, ce que pensait le Bouddha lui-même. Cela implique de dépouiller les enseignements bouddhistes que nous avons reçus de tout le bagage religieux et philosophique qui a été ajouté à d’autres époques par d’autres cultures.

Une question qui revient souvent est: «Comment pouvons-nous savoir si quelque chose que nous lisons ou entendons sur le bouddhisme reflète vraiment les propres enseignements du Bouddha.» D’un côté, il est difficile de le savoir avec certitude, mais en même temps, il existe plusieurs outils que nous pouvons utiliser. Je vais en souligner trois ici.

Tout d’abord, quand il délivra son premier enseignement à ses anciens compagnons, qui connaissaient bien les diverses doctrines spirituelles de l’époque, il a dit:

«Sont nées en moi la vision, la connaissance, la sagesse, la perspicacité, l’illumination concernant des choses jamais entendues auparavant[2][NdT] Les citations du Bouddha sont traduite par moi depuis leurs versions anglaises incluses dans le texte de Culadasa, qui sont non sourcées.

Par conséquent, toute doctrine appartenant à une autre tradition non bouddhiste, et plus particulièrement tout enseignement religieux largement accepté avant la naissance du Bouddha, devrait automatiquement être considérée comme suspecte.

Deuxièmement, les enseignements authentiques du Bouddha présentent un niveau étonnant de cohérence interne. Chaque fois que vous rencontrez une incohérence, un côté ou l’autre de celle-ci doit être écarté ou réinterprété d’une manière qui entraîne un retour à la cohérence. Lorsque vous devez choisir entre deux déclarations, choisissez toujours celle qui est la plus cohérente avec tout le reste de ce que le Bouddha a dit et fait.

Enfin, rappelez-vous que le Bouddha a hésité à enseigner après son Éveil, se disant à lui-même:

«Ce Dhamma que j’ai atteint est profond et difficile à voir, difficile à découvrir… impossible à atteindre par simple rationalisation, subtil, destiné à l’expérience des sages… Si j’enseignais ce Dhamma, les autres ne me comprendraient pas, et ce serait fatigant et gênant pour moi.

Assez d’enseigner le Dhamma
Que même moi j’ai trouvé difficile à atteindre;
Car il ne sera jamais perçu
Par ceux qui vivent dans la convoitise et la haine.
Les hommes imbibés de convoitise, et qu’un nuage
De ténèbres baigne, ne verront jamais
Ce qui va à contre-courant, est subtil, 
Profond et difficile à voir, abstrus.»

Heureusement, le Bouddha a décidé de passer outre et d’enseigner quand même. Mais tout ce qui semble trop simple, trop facile à saisir sans réflexion sérieuse, peut être au mieux une simplification excessive. Au pire, cela peut être une doctrine qui s’est glissée d’une autre religion. Pour autant, rappelez-vous que la pensée du Bouddha est subtile plutôt que complexe. Tout ce qui est intellectuellement alambiqué et compliqué ne vient probablement pas non plus du Bouddha. Ce qui rend parfois le véritable enseignement de Bouddha difficile à comprendre, c’est qu’il est très différent de la façon dont nous sommes habitués à penser les choses. Toute la logique derrière les enseignements du Bouddha est très simple, mais elle nous oblige à abandonner certaines hypothèses fondamentales. Si nous ne sommes pas disposés à faire cela, les enseignements sembleront impénétrables. Et si nous essayons de déformer ces enseignements pour les adapter à des idées préconçues, nous nous retrouverons plongés dans toutes sortes de rationalisations alambiquées.

La Souffrance et la Fin de la Souffrance: les Quatre Nobles Vérités

En ce qui concerne la souffrance, le Bouddha faisait une distinction entre les expériences désagréables qui proviennent du corps et le type de mécontentement et de malheur d’origine mentale. Il a souligné que c’est en fait la réaction de l’esprit aux sensations corporelles désagréables qui fait de la douleur physique une source de souffrance. De plus, toutes les souffrances que nous éprouvons autres que la douleur physique est générée entièrement par l’esprit. La signification de ceci est que, bien que la maladie, les blessures, le vieillissement et la mort soient inévitables, et qu’il ne soit pas en notre pouvoir de les empêcher d’affliger notre corps, nous avons potentiellement beaucoup plus de pouvoir et d’influence sur ce qui se passe dans notre esprit. Nous pouvons résumer cela en disant: «La douleur est inévitable, mais (avec un entraînement mental approprié) la souffrance est facultative.» C’est ce qu’on appelle la Vérité sur la Souffrance.

Le Bouddha poursuit en soulignant que la résistance à ce qui est, vouloir que les choses soient différentes de ce qu’elles sont, est associée à chaque instance de souffrance. Il souligne en outre que, lorsque nous nous trouvons en train de souffrir, si nous pouvons identifier précisément ce à quoi nous résistons et abandonner cette résistance, la souffrance disparaît au même moment. Cela peut se résumer en disant: «L’envie que les choses soient différentes de ce qu’elles sont est la cause racine de toutes les souffrances.» C’est ce qu’on appelle la Vérité sur la Cause de la Souffrance.

En ce qui concerne la fin de la souffrance, le Bouddha nous dit que notre envie[3][NdT] Craving en anglais désigne une envie impulsive ou impérieuse – comme une envie de sucreries après une journée difficile, par exemple. Pour alléger le texte, chaque fois que ce terme … Continue reading est motivée par l’ignorance et l’illusion. Tant que nous sommes pris au piège de l’illusion, notre envie continuera sans fin, ainsi que nos souffrances. Mais l’ignorance peut être éliminée grâce à une profonde Sagesse qui surmonte l’illusion dans laquelle nous sommes piégés. Une fois que nous sommes libérés de l’illusion, à la fois l’envie et la souffrance cessent également. En d’autres termes, «Quand la Sagesse amène la fin complète et permanente de l’envie, il y a aussi une fin complète et permanente de la souffrance.» C’est ce qu’on appelle la Vérité sur la Fin de la Souffrance.

Le Bouddha a tracé un chemin en huit parties menant à cette Sagesse, composé de : 1. la Compréhension Juste, 2. l’Intention Juste, 3. la Parole Juste, 4. l’Action Juste, 5. les Moyens de Subsistance Justes, 6. l’Effort Juste, 7. la Concentration Juste, et 8. la Pleine Conscience Juste. Ceci est généralement décrit comme «le Chemin Octuple vers la Fin de la Souffrance», et est également connu comme la Vérité sur le Chemin vers la Fin de la Souffrance.

Le Chemin Octuple

Le Chemin Octuple est divisé en trois parties: La première division se compose de la Compréhension Juste et de l’Intention Juste. Elle fournit une compréhension intellectuelle de la Sagesse qui surmonte l’ignorance, cette division est donc appelée celle de la Sagesse. Ici, le Bouddha expose en détail ses propres observations sur la façon dont les choses sont réellement, et nous demande de vérifier la véracité de ces observations en investiguant attentivement et en réfléchissant sur notre propre expérience. C’est là que les bases sont posées pour les deux prochaines divisions.

La deuxième division du Chemin, appelée Éthique, se compose de la Parole Juste, de l’Action Juste et des Moyens de Subsistance Justes. Ce sont des pratiques réalisées au cours de la vie quotidienne afin de changer nos manières conditionnées de voir et de réagir aux choses. Fondamentalement, en pratiquant l’Éthique, nous nous re-conditionnons loin des vues et des compréhensions erronées qui découlent de notre vision ignorante et illusionnée de la réalité.

La troisième division est la Méditation, consistant en l’Effort Juste, la Concentration Juste et la Pleine Conscience Juste. Ce sont les pratiques d’entraînement de l’esprit qui nous permettent d’avoir le genre d’expériences qui valident les vérités que nous avons étudiées et comprises intellectuellement. L’effet combiné de toutes les trois divisions, les huit parties de l’Octuple Sentier, est que nous atteignons une réalisation intuitive de la Sagesse qui met fin à l’ignorance, à l’envie et à la souffrance.

Nous apprendrons ce que pensait le Bouddha en étudiant ses enseignements sur la division de Sagesse du Chemin. Ce sont ces mêmes pensées qui ont été utilisées dans la formulation de diverses philosophies religieuses bouddhistes et systèmes métaphysiques à travers les âges. Gardez à l’esprit, lorsque vous examinez les enseignements sources, que le but premier du Bouddha était toujours plus pratique que théorique. Cela se reflète dans les différentes manières de parler et hypothèses philosophiques et religieuses qu’il adoptait en s’adressant à différentes personnes – guerriers et rois, marchands, laïcs sans instruction, ses propres disciples, brahmanes, adeptes d’autres enseignants, etc. Il serait facile de supposer qu’il était d’accord avec les croyances religieuses des personnes à qui il parlait, simplement parce qu’il ne les a pas contredites. Mais ce n’est pas nécessairement le cas. Assez souvent, plutôt que de remettre en question les croyances que quelqu’un avait déjà et de prononcer une sorte de plus grande vérité, il allait simplement à la rencontre des gens là où ils se trouvaient et essayait de les guider vers une compréhension plus juste et plus profonde. Cela peut être déroutant pour quelqu’un qui vient chercher plus tard des informations de nature absolue dans les enseignements du Bouddha, qui sont nombreux et variés. Ces derniers doivent donc toujours être interprétés dans le contexte où ils ont été donnés, en tenant compte de la personne à qui le Bouddha parlait et du point qu’il exposait à l’époque. Néanmoins, si nous faisons attention, nous pouvons toujours avoir une assez bonne idée de ce que le Bouddha pensait vraiment

Ce que Pensait le Bouddha

L’Origine Interdépendante

Au cœur même de l’enseignement du Bouddha, nous trouvons l’idée de l’Origine Interdépendante (aussi appelée «Coproduction Conditionnée»). Chaque fois que vous rencontrerez ce terme, il sera utilisé de l’une de deux manières: soit pour décrire un principe général fondamental – que toutes choses apparaissent en fonction de causes et de conditions multiples; ou comme une description spécifique d’un processus mental clé – à savoir les «douze maillons de l’origine interdépendante». Ici, nous l’abordons dans sa forme plus générale.

Nous commençons notre discussion de ce que pensait le Bouddha avec l’Origine Interdépendante parce que, dans ses sens à la fois général et spécifique, elle est la base des autres concepts spécifiquement bouddhistes du karma, de la réincarnation, de la façon dont la souffrance se perpétue et de la possibilité de s’en libérer par la réalisation de l’impermanence, de la vacuité et du non-soi. Ce sont des «concepts spécifiquement bouddhistes» en ce que, bien qu’ils partagent une terminologie commune avec d’autres systèmes de croyance, ces termes prennent une signification complètement différente dans les enseignements du Bouddha à leur sujet. Malheureusement, cela crée un grand potentiel d’incompréhension, et en effet ces malentendus sont devenus assez répandus dans les religions nombreuses et diverses que désigne l’appellation unique de «bouddhisme».

L’Origine Interdépendante dans son sens général est exprimée dans la formule simple: 

Quand ceci est, cela est.
Quand ceci se produit, cela se produit.
Quand ceci n’est pas, cela n’est pas.
Quand ceci cesse, cela cesse.

Pour la plupart d’entre nous aujourd’hui, cela semble être du bon sens. Néanmoins, très peu d’entre nous apprécient pleinement toutes les implications de ces simples déclarations. Le Bouddha était très conscient de la difficulté pour les gens de comprendre pleinement l’Origine Interdépendante. Le Ven. Ananda lui dit un jour qu’il trouvait cette doctrine évidente et facile à comprendre. Le Bouddha répondit:

«Ananda, ne dis pas cela. La doctrine de l’origine interdépendante est si profonde que les êtres sensibles sont incapables de la comprendre. Ils sont incapables de comprendre ce que j’enseigne parce qu’ils sont incapables de percevoir ce processus. Par conséquent, ils sont perplexes comme devant une pelote de laine emmêlée, un enchevêtrement d’herbes de munja. Ils ne peuvent pas se libérer de la souffrance, des états de privation, de dégénérescence et de transmigration. »

Les implications subtiles de l’Origine Interdépendante sont les suivantes:

  1. Rien se tient en dehors de la cause et l’effet.

En d’autres termes, tout ce qui arrive a une cause. Aucune exception. Rien ne peut arriver sans cause.

De plus, tout ce qui arrive produit des effets. Toujours. Rien de ce qui arrive n’est jamais sans conséquences.

Par conséquent, tout ce qui semble être «surnaturel» ou «magique» n’apparaît ainsi que parce que nous n’en comprenons pas pleinement les causes. Les lois de causalité sont jamais violées.

  1. Tout ce qui apparaît dû à des causes et des conditions doit également disparaître.

Lorsque la cause est absente, il ne peut y avoir aucun effet. Lorsqu’il n’y a aucun effet, c’est qu’il n’y a pas de cause.

Lorsque la cause cesse, l’effet disparaît également. Lorsque l’effet cesse, c’est que la cause a cessé.

Tout, ainsi, est impermanent.

  1. Tout ce qui survient le fait en fonction de plusieurs causes et conditions.

Nous pensons généralement à la relation de cause à effet comme à une relation linéaire, avec une cause conduisant à un effet. Mais tout événement réel implique en fait la présence simultanée de plusieurs causes et conditions.

Et si nous énumérons toutes les causes et conditions immédiates nécessaires à un effet particulier, chacune d’elles dépend à son tour de multiples causes et conditions. Et ainsi de suite, dans un réseau de causalité toujours plus large.

Chaque chose ou événement individuel est le noeud d’une convergence causale massive.

  1. Les causes et les effets surviennent toujours ensemble.

Nous considérons généralement la cause et l’effet comme deux entités distinctes, la cause précédant toujours l’effet.

Mais l’effet potentiel est déjà présent dans chaque cause contributive, avant même que toutes les autres causes et conditions nécessaires se soient produites. Et toutes les causes contributives sont intrinsèquement présentes dans chaque effet. La cause et l’effet ne sont pas des entités séparées, apparaissant et disparaissant les unes après les autres.

Au contraire, ils font partie d’un processus continu, avec toutes les causes contributives et tous les effets possibles intrinsèquement présents dans chaque partie du processus.

L’apparition et la disparition de «choses» séparées est une illusion. Il n’y a qu’un processus unique et continu.

  1. Tout, partout, est interconnecté causalement.

Parce que la causalité est un processus continu unique, et parce qu’absolument tout a des causes et des conditions multiples, et parce qu’absolument tout produit des conséquences multiples, tout est interdépendant de tout le reste.

L’Origine Interdépendante est parfois appelée Co-Apparition Interdépendante pour cette raison même.

Absolument tout et tout le monde est une partie interpénétrante et inséparable d’un tout unique, indivisible, causalement interdépendant, qui est le mieux décrit comme étant un processus.

La plupart des occidentaux avec une éducation scientifique se trouveront parfaitement à l’aise avec l’Origine Interdépendante en tant que principe général, mais peu d’entre eux ont jamais pleinement réfléchi aux cinq implications énumérées ci-dessus, en particulier les trois dernières.

Comme l’a dit un érudit bouddhiste, Rupert Gethin, «… le secret de l’univers réside dans la nature de la causalité – la façon dont une chose mène à une autre». Le Bouddha est arrivé à l’Origine Interdépendante en tant que principe universel à travers une combinaison de logique et d’expérience. Nous arriverons exactement aux mêmes conclusions si nous analysons soigneusement notre propre expérience du monde. Il n’est pas possible, bien sûr, d’observer tous les évènements possibles pour examiner leurs causes sous-jacentes. Ce n’est pas non plus nécessaire. Les logiciens bouddhistes ont par la suite fourni un soutien logique rigoureux pour cet enseignement particulier du Bouddha. Mais chacun de nous doit se convaincre par soi-même que c’est vrai.

Les Trois Caractéristiques

L’ignorance que le Bouddha a identifiée comme étant à la racine de l’envie est l’ignorance de trois faits particuliers qui caractérisent l’existence humaine. Ces Trois Caractéristiques sont:

  • l’Impermanence ( anicca en Pali et anitya en sanskrit)
  • l’Insatisfaction ( dukkha en Pali et duhkha en sanskrit)
  • le Non-soi ( anatta en Pali et anatman en sanskrit)

L’illusion créée par l’ignorance des trois caractéristiques est la croyance erronée que:

  • nous sommes des entités distinctes et durables, dans un monde d’autres entités distinctes et durables, et
  • notre souffrance et notre bonheur dépendent de ce qui nous arrive, de nos interactions avec ces autres entités.

La Sagesse qui éradique l’ignorance et surmonte l’illusion vient de la réalisation de ces Trois Caractéristiques.

L’Impermanence

L’impermanence fait référence au fait que toutes les choses conditionnées sont dans un état constant de flux [voir #2 des cinq Implications de l’Origine Interdépendante].

Souvent, nous agissons et réagissons comme si les choses étaient plus permanentes qu’elles ne le sont en réalité, devenant bouleversés et malheureux lorsqu’elles changent, même si nous savons tous et toutes que ça n’est pas utile. Ce genre d’impermanence ne nécessite aucune réalisation spéciale pour être comprise, même si cela demande plus de perspicacité que la plupart d’entre nous n’en ont de vivre en accord avec. Mais le Bouddha pointait vers une sorte d’impermanence beaucoup plus radicale qui va entièrement au-delà de celle-ci.

En réalité, il n’y a pas du tout de «choses». Pas même des «choses» existant temporairement qui apparaissent brièvement et qui disparaissent à nouveau en raison de causes et de conditions. En fin de compte, il y a seulement du flux [voir Implication # 4 de l’Origine Interdépendante], et la simple apparence de choses qui surgissent et disparaissent en changeant d’une forme à une autre. Mais ne vous y trompez pas, cela ne signifie pas que «rien n’existe». Cela signifie plutôt qu’il n’y a que du processus pur. C’est la voie médiane du Bouddha qui évite les vues extrêmes tels que «tout existe» et «rien n’existe».

Le Non-Soi

Le Non-Soi est la négation de l’idée qu’il y a une essence individuelle propre à une personne, un vrai Soi, ou Atta, ou Atman.

Il y a, bien sûr, le système unique et en constante évolution des processus psychophysiques, des phénomènes mentaux et physiques, de l’esprit et du corps que nous identifions habituellement comme étant une personne. Mais il n’y a pas d’entité individuelle, séparée et durable en dehors de cela.

Sachant que nous allons mourir, la croyance même en un Soi séparé nous fait souffrir à cette perspective, et bien que la réponse ne puisse jamais être connue, la question de ce qui se passe après la mort revêt une grande importance. Sommes-nous nés pour lutter et souffrir toute notre vie, pour être seulement anéantis à notre mort? Une certaine forme d’existence continue pourrait à première vue sembler préférable. Mais pour ceux qui croient en un Soi continuellement réincarné, la perspective devient bientôt celle d’une souffrance sans fin, solitaire, étant à jamais séparés et en conflit constant avec tout ce qui est Autre. C’est tellement horrible à contempler qu’avant la venue du Bouddha, le but spirituel le plus élevé de beaucoup était de trouver une échappatoire au cycle sans fin de la réincarnation. Souvent, cela signifiait des pratiques spirituelles spécifiquement destinées à provoquer l’annihilation du Soi à la mort. D’autre part, ceux qui croient que le Soi est inévitablement anéanti à la mort, quelque soit ce que l’on fasse, tendent souvent vers l’hédonisme ou vers un nihilisme amoral.

L’autre problème vraiment majeur associé à la croyance en un Soi séparé est qu’elle s’accompagne de la croyance que le bonheur et la souffrance sont le résultat de ce qui arrive au Soi. Cela fait de la frontière entre le Soi et l’Autre une ligne de bataille. Le Soi doit constamment s’efforcer d’obtenir les choses et de créer les circonstances qui apportent le bonheur et la satisfaction, luttant contre d’autres Sois séparés pour ce faire. Et il doit faire de même pour éviter toutes ces choses et circonstances qui le font souffrir. Mais cela nous ramène aux deux premières Vérités du Bouddha, la Vérité de la Souffrance et la Vérité de la Cause de la Souffrance : ce qui nous arrive peut certainement provoquer l’apparition de sensations agréables et désagréables. Mais ce n’est que la réaction de notre propre esprit à ce qui se passe qui transforme une sensation désagréable en une expérience de souffrance. De même, le bonheur vient aussi de l’intérieur, de l’esprit lui-même, non de ce que nous possédons ou de ce qui nous arrive. Il ne peut y avoir de fin à la souffrance avant que la Vérité du Non-Soi ne soit réalisée.

La notion selon laquelle il existe un Soi en dehors des phénomènes mentaux et physiques que nous appelons une personne est appelée éternalisme (que l’on pense que ce Soi dure éternellement ou juste pour une période de temps finie). L’éternalisme est la base de la croyance en un Soi ou une âme qui survit après la mort. Cependant, comme nous l’avons vu, chaque chose ou événement individuel, y compris une personne individuelle, est le lien d’une convergence causale massive [Implication # 3]. Et tout ce qui survient en raison des causes et des conditions est impermanent et doit également disparaître [Implication # 2]. De plus, les «choses» séparées, y compris un Soi séparé, ne sont qu’une illusion. En fin de compte, il n’y a que du processus [Implication # 4].

Cependant, ce serait une erreur de penser que la doctrine du Non-Soi transforme simplement le Soi en un ensemble de processus mentaux et physiques, plutôt qu’en une entité séparée. Si tel était le cas, alors lorsque ces processus se termineraient à la mort, le Soi cesserait d’exister. Ce n’est pas différent de dire que le Soi n’est que le corps et l’esprit, et que ce Soi cesse d’exister lorsque le corps meurt. Cette perspective est appelée annihilationnisme, et est tout aussi égarée que l’éternalisme. L’éternalisme et l’annihilationnisme sont toutes deux des vues erronées contre lesquelles le Bouddha nous a mis en garde à plusieurs reprises.

La doctrine du Non-Soi est beaucoup plus radicale et finalement beaucoup plus attrayante que l’une ou l’autre de ces perspectives incorrectes. Elle déclare qu’il n’y a pas de Soi qui pourrait survivre ou être anéanti à la mort, simplement parce qu’aucun Soi de ce genre n’existe maintenant, n’a jamais existé ou n’a jamais pu exister. Si nous regardons la notion de l’individualité de plus près, on voit qu’elle n’a de sens que par contraste avec quelque chose qui n’est pas le Soi, qui est autre que soi. L’essence même du Soi est la dualité et la séparation, donc être un Soi, c’est être séparé. Pourtant, nous avons vu qu’absolument tout et tout le monde, y compris une personne individuelle, est une partie interpénétrante et inséparable d’un ensemble unique, indivisible, causalement interdépendant [Implication # 5]. Dans cette vision holistique de la réalité, il n’y a pas de place pour des processus séparés qui se terminent indépendamment du tout.

Pour ceux qui ont réalisé la vérité du Non-Soi, il n’est pas nécessaire de demander ce qui se passe après la mort du corps. Le Bouddha refusait en effet fermement de répondre à toutes ces questions, suggérant qu’elles étaient inutiles et une perte de temps. Cependant, parlant dans l’idiome commun de l’époque, puisque le but de la pratique spirituelle était si souvent la fin de la réincarnation cyclique, l’accomplissement de l’Éveil était communément appelé avoir atteint la «naissance finale» et la «fin de la renaissance».

Comme nous le verrons plus tard, le Bouddha utilisait souvent la terminologie populaire de son temps, en changeant le sens pour l’adapter à son propre enseignement. Lorsque nous examinerons l’application spécifique de l’Origine Interdépendante connue sous le nom des «Douze Maillons», nous constaterons que l’idée même de renaissance y a reçu une signification nouvelle, très différente de celle de la réincarnation.

La Vacuité

Bien que n’étant pas à l’origine articulée comme telle par le Bouddha, la Vacuité est un terme plus général qui combine les Vérités de l’Impermanence et du Non-Soi. La Vacuité fait référence au fait que toutes choses, y compris le Soi, sont Vides d’existence propre et Vides de nature propre.

Toute apparence de «chose intrinsèque» est une illusion, projetée par l’esprit sur différents aspects d’un processus unique et interconnecté dans sa totalité indivisible. Ce que nous appelons des «choses» ne sont rien de plus que des convergences momentanées de causes et de conditions, des noeuds en constante évolution de relations causales. Et un «noeud momentané» n’a pas non plus d’existence indépendante. Rappelez-vous, la réalité est qu’un tel noeud appartient à un tout totalement interconnecté, et donc où que vous regardiez dans cette réalité, vous trouverez un tel noeud causal [Implication # 3 de l’Origine Interdépendante]. Comme un œil regardant à travers un tube une partie vide du ciel, l’esprit regardant à travers les organes sensoriels pointe une convergence causale particulière, parmi une infinité de telles convergences, comme étant un objet à un moment donné. Chacun de ces noeuds est réel et unique, son «existence» dépendant de causes et de conditions. Mais son existence indépendante, sa séparation, est une illusion projetée dessus par l’esprit.

En d’autres termes, l’«existence» de «choses» séparées, telles qu’elles sont, dépend non seulement des causes et des conditions, mais de l’esprit qui perçoit comme cause aussi. Notre expérience subjective d’une «chose» est appelée un dhamma. Les dhammas sont des phénomènes mentaux, créés par l’esprit et n’existant que dans l’esprit. Le contenu de tout dhamma spécifique est également créé par l’esprit et n’existe que dans l’esprit.[4]La seule exception importante à cela est l’unique dhamma dont le contenu est le Nirvana ou la Vacuité. Le contenu de ce dhamma est une absence, qui est incréée. C’est ce que cela signifie de dire que «toutes choses sont Vides d’existence propre.» Mais cela ne veut pas dire que les dhammas ne sont pas réels. Juste que les contenus spécifiques, les objets de l’expérience consciente, n’ont pas d’existence séparée en dehors de l’esprit. Et cela s’applique également au Soi personnel. Cela ne signifie pas non plus que «rien existe en dehors de l’esprit». Il y a une Réalité Ultime. Nous faisons partie de cette Réalité Ultime, et c’est la source de nos expériences sensorielles. C’est juste que nous ne pouvons pas la connaître en elle-même. Tout ce que nous pouvons jamais connaître sont les représentations mentales, les «histoires» fabriquées par l’esprit pour rendre compte de ces expériences.

Dans chaque cas où l’esprit impose une essence intrinsèque de «chose», il prend les informations fournies par les organes sensoriels et les organise et les étiquette d’une manière qui leur donne du sens pour lui. Cette signification est alors la «nature» perçue de la chose. Des esprits différents imputeront différentes natures aux mêmes objets sensoriels, et le même esprit imputera des natures différentes au même objet à des moments différents. C’est ce que cela signifie de dire que «toutes choses sont Vides de nature propre.» L’esprit crée sa propre réalité et impute une nature à cette réalité. Cela ne veut pas dire que la Réalité Ultime n’a pas de nature propre. Cela signifie simplement qu’elle est Vide de toute nature autre, créée par l’esprit. En d’autres termes, la nature de la Réalité Ultime n’est pas ce qu’elle semble être à l’esprit, et ne peut jamais être connue directement par lui. Mais cela ne signifie pas que nous ne pouvons rien savoir sur cette nature. L’Origine Interdépendante, l’Impermanence et la Vacuité sont toutes des choses très importantes que nous savons à propos de la Réalité ultime par inférence.

L’Insatisfaction

L’insatisfaction fait référence au fait que la vie, de par sa nature même, est difficile, imparfaite, et a des défauts. Une satisfaction profonde et durable, un vrai bonheur, une libération totale de la souffrance ne peuvent jamais être atteints tant que nous comprenons mal la nature de l’expérience humaine et la vraie nature de la réalité.[5]Le terme dukkha a un large éventail de significations, et les différentes manières dont le Bouddha l’utilise à différents moments se répartissent en plusieurs catégories distinctes. La … Continue reading

Les contenus, créés par l’esprit, des dhammas et la réalité qu’ils tentent de représenter co-apparaissant de façon conditionnée ne peuvent jamais être la source d’autre chose que les plus éphémères des plaisirs. Ce qui est impermanent, fabriqué par l’esprit et dépourvu de toute nature propre ne peut jamais apporter le bonheur. Tant que l’esprit postule les objets d’expérience comme étant réels en eux-mêmes, s’y agrippant en tant que sources de bonheur ou les fuyant en tant que causes de souffrance, le résultat sera l’insatisfaction. Un esprit qui se perçoit comme étant, ou faisant partie, d’un Soi séparé, sera toujours dans un état de lutte perpétuelle et futile avec ce qu’il perçoit comme Autre. La réalité de l’Origine Interdépendante signifie que toutes les tentatives pour contrôler ce qui nous arrive sont vouées à l’échec. Mais c’est la nature même de notre esprit humain de nous percevoir nous-même comme étant séparés, et de supposer que nos états transitoires de bonheur et de souffrance sont le résultat de nos interactions avec d’autres entités séparées. Ce n’est qu’en transcendant notre nature au travers de la sagesse qu’apportent ces Réalisations, et en abandonnant l’illusion qui mène à l’envie, que nous pourrons jamais trouver un bonheur véritable et durable.

Le Karma

La croyance en la rétribution karmique était très répandue en Inde et existait déjà depuis très, très longtemps avant le Bouddha. La croyance en la réincarnation était également très répandue et existait aussi depuis très longtemps. Nous devons donc poser un regard historique sur la forme qu’avaient ces idées avant l’arrivée du Bouddha sur la scène afin d’apprécier comment il les a transformées.

La théorie de la rétribution karmique était assez simple: que chaque action ait des conséquences est un fait évident, bien connu de tous. La rétribution karmique se réfère plus spécifiquement aux conséquences qui reflètent la qualité morale d’une action. Les gens font constamment des choses qui sont bonnes ou mauvaises à un degré ou un autre. Et toutes sortes de choses différentes, apparemment aléatoires, leur arrivent, dont certaines sont bénéfiques et d’autres sont nuisibles. La théorie de la rétribution karmique relie simplement ces deux éléments pour faire du monde un endroit juste et équitable. Selon cette théorie, les conséquences d’actions moralement bonnes sont des événements bénéfiques, qui récompensent celui ou celle qui performe ces bons actes. De même, les actions moralement mauvaises produisent des conséquences douloureuses. Il n’y a qu’un pas simple à franchir d’ici à une théorie globale du karma dans laquelle tout ce qui se produit est la conséquence morale d’actions bonnes ou mauvaises faites dans le passé. Une fois qu’une personne comprend comment fonctionne le karma, alors elle sait également ce qu’elle doit faire pour assurer une existence heureuse dans le futur.

Cette théorie de la rétribution karmique avait cependant un problème majeur. Des gens paraissent souvent bénéficier d’actions cruelles et injustes, tandis que les comportements justes, gentils et généreux semblent souvent ne pas être récompensés. De mauvaises choses arrivent aux personnes bonnes et de bonnes choses arrivent aux personnes mauvaises. La réincarnation résout ce problème, car elle permet aux actes et aux conséquences karmiques de se produire dans des vies différentes. Par nécessité, les notions de réincarnation et de rétribution karmique sont devenues étroitement liées. Non seulement la «loi» du karma exigeait la réincarnation pour qu’elle ait un sens, mais le karma en est venu à être considéré comme la véritable cause de la réincarnation.

Cette combinaison de karma et de réincarnation aidait à donner un sens à ce qui semblait sinon être un monde arbitraire et injuste. Elle donnait une méthode facile à saisir pour atteindre la santé, la richesse et le bonheur, fournissait une raison solide pour agir moralement et rendait l’inévitabilité de la mort un peu plus acceptable. Mais elle laissait encore beaucoup à désirer. Cette vie dans ce monde continue d’être pleine de souffrances. Et même si, en comprenant la loi du karma, une personne créait du bon karma pour sa prochaine vie, elle ne se souviendrait pas de l’avoir fait. Ainsi, elle pourrait très bien se retrouver à dilapider les fruits de ce bon karma tout en se créant plus de mauvais karma par ignorance. Non seulement cela, mais si on considère tout le mauvais karma accumulé au cours d’un nombre incalculable de vies passées, il nous reste encore beaucoup de souffrances à récolter. Il suffit de regarder autour de soi pour voir que la vie est imprégnée de nombreuses formes différentes de souffrance, commençant avec la naissance et continuant avec la perte de ce qui est cher, les blessures, la maladie, le vieillissement et la mort.

La souffrance de cette vie ainsi que le cycle continu de la naissance, de la souffrance, de la mort et de la renaissance (peut-être mieux décrit comme le cycle de «souffrance, mort, renaissance, plus de souffrance et re-mort») en sont venus à être connus comme le Samsara. Au moment de la naissance du Bouddha, le but de beaucoup, sinon de la plupart, des traditions spirituelles et religieuses en Inde était devenu la libération de la rétribution karmique et une évasion de la «roue du Samsara», le processus perpétuel de réincarnation. En d’autres termes, le thème commun de nombreuses religions différentes avant que le Bouddha ne prononce son premier mot était «la libération du Samsara». Cette libération n’avait lieu qu’après que la mort ait mis fin à cette vie présente, était considérée comme très difficile à réaliser et pouvait bien ne pas être atteinte durant de très nombreuses vies à venir.

Si tout cela ressemble beaucoup à la façon dont vous avez entendu les bouddhistes décrire le karma, vous avez raison. Cela étant, vous devriez vous demander: «Alors, est-ce vraiment l’enseignement du Bouddha sur le karma, et sinon, en quoi son véritable enseignement diffère-t-il de ce qui l’a précédé?» C’est précisément ce que nous voulons regarder ici. Il y a une subtilité dans la version du karma du Bouddha qui est beaucoup trop facilement et trop souvent manquée par même les plus ardents bouddhistes.

Pour commencer, le Bouddha lui-même n’a pas atteint sa libération après la mort. Au contraire, il est devenu pleinement éveillé, complètement libéré du Samsara à 35 ans, et a continué à vivre et à enseigner dans le monde pour 45 ans de plus ! Cette notion de parvenir à la libération de son vivant et en étant actif dans le monde était tout à fait révolutionnaire. En fait, la première personne qui a rencontré le Bouddha après son éveil, un moine ascétique nommé Upaka, a remarqué qu’il y avait quelque chose de très spécial en lui et l’a questionné à ce sujet. Quand le Bouddha lui a dit qu’il était complètement Éveillé, Upaka s’est juste moqué et s’est éloigné en secouant la tête. Personne d’autre qu’un imbécile n’aurait jamais dit des choses aussi stupides ! Le moqueur aurait été beaucoup plus à l’aise en parlant avec des bouddhistes tibétains ou theravadins plus tardifs, qui s’accorderaient pour dire que l’Éveil est extrêmement rare et prend de nombreuses vies d’efforts ardus à réaliser !

Mais le Bouddha a passé 45 ans non seulement à dire à tout le monde que l’Éveil peut être atteint dans cette vie, mais à guider des milliers de personnes pour réussir à le faire pour elles-mêmes. Il a enseigné que n’importe qui suivant sa méthode pourrait être libéré dans cette vie même, pas après la mort, et certainement pas après un nombre incalculable de vies futures. D’ailleurs, le Bouddha a découragé quiconque de même penser à d’où nous venons ou à ce qui se passe après la mort. Il considérait ces questions comme une perte de temps et une distraction par rapport à la seule question de réelle importance, à savoir la libération de la souffrance et l’Éveil en cette vie.

De plus, après son Éveil, le Bouddha est dit avoir habité dans la perfection du Nirvana. Donc pendant ces 45 ans entre son Éveil et son décès final, le Nirvana a pris la forme d’une existence humaine dans ce monde même. Ceci est très différent de la vision pré-bouddhiste qui égalait cette vie et ce monde comme le Samsara. L’exemple du Bouddha nous dit que la différence entre le Samsara et le Nirvana n’a rien à voir avec le fait que vous soyez ou non sous forme humaine, et que vous viviez ou non dans ce monde. La libération et le Nirvana ne consistent PAS à s’échapper de ce monde et de cette vie. Au contraire, la libération de la souffrance et l’Éveil de l’ignorance vous permettent d’embrasser la vie et de vivre plus pleinement. Notez l’autre changement important qui s’est produit: le Nirvana a été entièrement intériorisé. Le Nirvana n’a rien à voir avec l’endroit où vous êtes et la forme extérieure de votre existence.

Revenons maintenant au karma. Il est très difficile de concilier l’Origine Interdépendante avec l’idée que tout ce qui vous arrive est une conséquence morale de vos actions passées. Cette théorie du karma ferait absolument tout dépendre d’un ensemble très limité de causes. Mais l’une des implications de l’Origine Interdépendante est que tout ce qui survient le fait en fonction de plusieurs causes et conditions [Implication #3]. Même si nous limitons le karma aux conséquences morales spécifiques de certains actes moraux tout aussi spécifiques, nous devons en quelque sorte suspendre tout autre type de causalité qui pourrait autrement interférer avec l’accomplissement de ce karma. Mais une autre des implications de l’Origine Interdépendante est que rien se tient en dehors de la relation de cause à effet, que les lois de la causalité ne sont jamais violées [Implication #1].

L’ancienne théorie de la rétribution karmique nous conduit également à nous concentrer sur la création d’un bon karma afin que de bonnes choses nous arrivent à l’avenir, et à éviter le mauvais karma pour éviter que de mauvaises choses ne se produisent. Cela a du sens tant que nous croyons que la bonne fortune nous rend toujours heureux et que les évènements malheureux causent toujours de la souffrance. Mais cela ne correspond tout simplement pas à l’expérience de la vie réelle. Beaucoup de gens fortunés sont malheureux et vice versa. De plus, rappelez-vous que d’après les Vérités de la Souffrance et de la Cause de la Souffrance, et d’après l’Insatisfaction en tant que l’une des Trois Caractéristiques, la souffrance et le bonheur ne sont pas causés par ce qui vous arrive. En fait, croire que la souffrance ou le bonheur dépendent de ce qui vous arrive fait partie de l’illusion qui cause la souffrance. La souffrance et le bonheur sont la façon dont votre esprit réagit à ce qui vous arrive. Si cela est vrai, il n’y a aucune garantie que faire de bonnes actions apportera le bonheur. Pire encore, les bons actes que nous faisons, s’ils sont motivés par la croyance et l’espoir de récompenses futures, ne font que renforcer l’illusion qui est à la racine même de notre souffrance

Avec ces problèmes à l’esprit, regardons de plus près la version du karma selon le Bouddha. Le point de vue du Bouddha sur la causalité peut être exprimée comme suit: l’expérience du présent est façonnée par les intentions et actions dans le passé et le présent. Les intentions et les actions dans le présent façonnent à la fois le présent et l’avenir. Les résultats des intentions et des actions du passé et du présent interagissent continuellement. Notez que chaque déclaration comprend à la fois intentions et actions. Comme nous le verrons, la façon particulière dont le mot karma est utilisé en référence à l’intention est précisément ce qui rend la version du Bouddha si différente des anciennes idées de rétribution karmique. Les intentions et les actions sont deux catégories distinctes de causes. Il est donc très important de ne pas confondre ni mélanger actions et intentions les unes avec les autres, et que nous comprenions clairement les différences entre elles.

L’intention comme Karma

Bien que le mot karma signifie littéralement «action», à l’époque du Bouddha il en était venu à signifier plus précisément une action qui produisait des conséquences morales pour son auteur. Le Bouddha a redéfini le karma, en disant:

«L’intention, je vous le dis, est kamma.[6][NdT] kamma est le mot pali pour karma, qui est un terme sanskrit. Culadasa utilise le mot karma, plus connu dans notre langue, dans ses explications, mais les citations du Bouddha sont tirées des … Continue reading En formant des intentions, on fait du kamma par le biais du corps, de la parole et de l’esprit.»

Redéfinir le karma de cette manière fait une différence subtile mais profonde. Dire que le karma n’est PAS l’action, mais plutôt l’intention derrière l’action signifie que les conséquences morales résultent de l’intention, pas de l’action. L’action elle-même peut produire toutes sortes d’autres effets sur la personne qui réalise l’action, agréables, désagréables ou ni l’un ni l’autre. Mais ces effets sont le résultat d’une causalité matérielle. Ce ne sont pas des conséquences morales. Les conséquences morales sont le résultat d’une sorte de causalité mentale qui agit directement sur l’esprit de celui ou celle qui a formé l’intention.

Tout comme il l’a fait avec le Nirvana, le Bouddha a déplacé à la fois le karma et ses conséquences hors du domaine matériel et dans le domaine mental. Cela permet aux actions et à leurs conséquences d’obéir aux lois de la causalité matérielle selon l’Origine Interdépendante, et recentre le karma et ses conséquences en tant que processus interne. De plus, ces conséquences morales ne sont pas affectées par le succès ou l’échec de l’action envisagée. Tant que l’intention est là, le résultat karmique sera produit.

Actions et intentions

Nous pouvons distinguer deux types d’actions respectivement à l’intention. Premièrement, il y a des actions réflexes involontaires qui n’impliquent aucune intention. Ce sont des choses comme le réflexe rotulien, la façon dont vous clignez des yeux quand quelque chose leur arrive dessus et dont vous retirez votre main lorsque vous touchez quelque chose de brûlant. L’autre type d’action est l’action intentionnelle. Celles-ci sont intentionnelles dans le sens où elles impliquent toujours une forme de volonté consciente, que ce soit maintenant ou dans le passé.

L’intention est le précurseur de tout acte de parole et de corps hors des mouvements purement réflexes. Certes, certaines actions intentionnelles peuvent devenir automatiques. Elles peuvent être si automatiques qu’elles ressemblent à des réflexes. Mais ce ne sont pas des réflexes, elles sont dirigées par des intentions inconscientes. Ces actions n’étaient pas à l’origine automatiques, et les intentions derrière elles n’étaient pas inconscientes. Certaines intentions sont donc conscientes, sujettes à réflexion, évaluation et modification avant que l’action ne se produise. D’autres sont inconscientes, produisant automatiquement un acte corporel, de parole ou d’esprit avant même que nous ne prenions conscience de l’intention. Mais avant qu’une intention ne puisse produire une action pour la première fois, elle doit devenir une intention consciente. Cela signifie que toute intention inconsciente qui produit une réaction automatique dans le présent doit avoir été une intention consciente à un autre moment dans le passé. Ces actions ne sont devenues automatiques que par répétition consciente et intentionnelle, et on peut donc encore bien dire tous les actes, même automatiques, ont pour origine une intention consciente.

L’intention provoque donc l’action, mais qu’est-ce que l’intention? On peut définir une intention comme: une impulsion, vers une activité particulière, qui est dirigée vers un objectif particulier. Les intentions sont des formations mentales qui produisent des effets directement sur l’esprit, et indirectement sur le monde matériel via le corps. Chaque mouvement de l’esprit – chaque pensée, idée et émotion – est une activité mentale motivée par une intention, et a un objectif à atteindre. Chaque mot et chaque action corporelle est également précédé d’une intention, et tout comme les mouvements de l’esprit, nos paroles et nos actions sont des moyens vers une fin spécifique. L’objectif final et les moyens pour atteindre cet objectif sont tous les deux inhérents à l’intention. Par exemple, lorsque vous ressentez une démangeaison, elle s’accompagne d’une envie de se gratter. Le grattage est le moyen, le soulagement de la démangeaison est le but.

Comment le karma en tant qu’intention provoque-t-il une augmentation ou une diminution des souffrances futures? La cause de la souffrance est l’envie. La cause de l’envie est la croyance ignorante que nous sommes un Soi séparé dans un monde qui est Autre, et que notre bonheur et notre malheur dépendent de ce que nous pouvons obtenir ou éviter de ce monde. Le but et les moyens pour y parvenir, inhérents à toute intention donnée, ont été façonnés par la vision du monde opérant dans l’esprit qui génère cette intention.

Les intentions malsaines ont leurs racines dans l’ignorance des Trois Caractéristiques et dans l’illusion correspondant à cette ignorance. La force motrice derrière ces intentions vient de l’envie, sous forme de cupidité ou d’aversion. Lorsqu’une telle intention naît dans la conscience, elle sera soit bloquée ou modifiée, soit approuvée et autorisée à donner lieu à une action. Si elle est approuvée dans la conscience, à la fois la vision du monde qu’elle représente et la force motrice qui la sous-tend sont validées et renforcées. C’est ainsi que des intentions malsaines approfondissent notre ignorance et notre illusion, et nous rendent encore plus sujets aux forces de la cupidité et de l’aversion dans le futur. Puisque l’ignorance et l’illusion sont à la racine de l’envie, et puisque l’envie est la cause de la souffrance, les conséquences karmiques des intentions malsaines sont plus de souffrances dans l’avenir.

Les intentions saines ont leurs racines dans la sagesse et la juste compréhension et sont, par conséquent, des Intentions Justes (au sens du Chemin Octuple). Leur force motrice est une forme de non-cupidité et de non-aversion, comme la générosité, la bonté, la patience et la compassion. Lorsqu’une telle intention est approuvée dans la conscience, la Compréhension Juste est renforcée et l’ignorance et l’illusion sont sapées. Le pouvoir que l’envie détient sur nous est affaibli et nous sommes moins sujets à la souffrance. Ainsi, les conséquences karmiques d’intentions saines sont non seulement moins de souffrance à l’avenir, mais un mouvement vers le Nirvana et loin du Samsara.

En d’autres termes, les actes motivés par l’ignorance, le désir et l’aversion rejaillissent sur vous en renforçant l’ignorance et l’envie, vous rendant plus vulnérable à la souffrance à l’avenir peu importe ce qui vous arrive. À l’inverse, les actes motivés par l’altruisme, la prévenance, la générosité et l’amour bienveillant rejaillissent sur vous en vous rendant moins vulnérable à la souffrance et plus enclin au bonheur, peu importe ce qui vous arrive en conséquence. C’est aussi simple que ça.

Les conséquences matérielles dans le monde des actions bonnes ou mauvaises ne sont pas sans importance. Ce qui vous arrive à vous est le résultat d’une causalité physique, biologique et psychologique, et dépend certainement, au moins en partie, de ce que vous dites ou faites. Mais ce qui vous arrive à vous n’est pas une conséquence morale. La conséquence morale du bon et du mauvais karma, c’est-à-dire des bonnes et mauvaises intentions, se manifeste non pas au travers de ce qui vous arrive, mais au travers du genre de personne que vous êtes à qui ces choses arrivent. Et qui nous sommes, fruit de nos intentions karmiques, a également une influence sur ce qui nous arrive. Où nous nous trouvons, les circonstances dans lesquelles nous nous trouvons, la compagnie dans laquelle nous sommes, la manière dont nous sommes perçu par les autres et de nombreux autres facteurs sont aussi déterminés par qui nous sommes. Mais cela aussi est du domaine des conséquences matérielles plutôt que morales, et est aussi le résultat d’autres types de causalité, pas du karma.

Le bon karma sous forme de bonnes intentions nous pousse vers le Nirvana et la libération, et loin de la souffrance. Le mauvais karma sous forme de mauvaises intentions nous pousse vers le Samsara et une souffrance accrue. C’est la loi du karma enseignée par le Bouddha. Vu de cette façon, le karma peut être utilisé comme une force puissante pour nous rapprocher de l’Éveil dans cette vie même. Et puisque le karma ne nie pas les autres formes de causalité, nous avons plus de raisons que jamais de travailler pour apporter des changements positifs dans le monde au travers de nos actions.

References

References
1 Deux chapitres ont été omis: les 5 Agrégats, et les Douze Maillons de l’Origine Interdépendante.
2 [NdT] Les citations du Bouddha sont traduite par moi depuis leurs versions anglaises incluses dans le texte de Culadasa, qui sont non sourcées.
3 [NdT] Craving en anglais désigne une envie impulsive ou impérieuse – comme une envie de sucreries après une journée difficile, par exemple. Pour alléger le texte, chaque fois que ce terme apparaît, il sera simplement traduit par « envie ».
4 La seule exception importante à cela est l’unique dhamma dont le contenu est le Nirvana ou la Vacuité. Le contenu de ce dhamma est une absence, qui est incréée.
5 Le terme dukkha a un large éventail de significations, et les différentes manières dont le Bouddha l’utilise à différents moments se répartissent en plusieurs catégories distinctes. La Vérité sur la Souffrance fait une distinction entre dukkha comme une sensation physique désagréable ou une douleur ordinaire (appelée dukkha-dukkha), et dukkha comme une souffrance mentale (parfois appelée domanassa dukkha). Ici dukkha se réfère à la fois au stress d’essayer de s’accrocher à des choses qui changent constamment (vipariṇāma-dukkha), et à l’insatisfaction subtile de la vie parce que des objets Vides et des états conditionnés ne peuvent jamais satisfaire nos espoirs et nos attentes (saṃkhāra-dukkha).
6 [NdT] kamma est le mot pali pour karma, qui est un terme sanskrit. Culadasa utilise le mot karma, plus connu dans notre langue, dans ses explications, mais les citations du Bouddha sont tirées des textes pali et reprennent donc les termes de cette langue.