J’ai participé à une étude qui renforce la méditation avec des ultrasons

📸 Une fois n’est pas coutume, voici mes photos de vacances !

(Je triche un peu, ce sont des scans de l’étude avant la mienne…)

👉️ En fin d’année dernière, j’ai eu la chance de participer à la première étude réalisée dans le contexte d’une retraite de méditation, d’une technologie en développement qui utilise des ultrasons focalisés pour faire de la neuro-modulation de manière non-invasive.

Qu’est-ce que ça veut dire que tout ça ? C’est un appareil qui permet d’affecter physiquement le fonctionnement de zones du cerveau, y compris profondes, sans avoir besoin de percer le crâne (« non-invasive »). Ce qui ouvre la porte à beaucoup, beaucoup d’applications !

Ici l’objectif était d’inhiber ce qu’on appelle le Default Mode Network – le réseau qui est actif quand on est dans un vagabondage d’esprit pas très satisfaisant, alternant désir impulsif et aversion. Le cadre était une retraite de 10 jours et l’intention de commencer à tester s’il est possible de renforcer les transformations et réalisations qui peuvent survenir en retraite.

Peut-on avoir certains des bénéfices d’une retraite d’un mois en 10 jours, sont-ils durables ? Cela ouvrerait-il la porte à pouvoir « booster » une profondeur contemplative au quotidien, sans être en retraite ?

🧑‍🔬 La réponse : plus de recherche est nécessaire ! Le résultat était très prometteur. Les enseignants (j’étais moi même des deux cotés de la barrière sur cette retraite) voyaient une vraie différence sur les élèves, et étaient très enthousiastes. Certain·es participant·es rencontraient des difficultés psychologiques fortes qui remontaient, phénomène classique en retraite, et les intégraient plus vite qu’à leur habitude. D’autres avaient des réalisations sur la nature de leur expérience et de leur mental étonnamment tôt. Et d’autres enfin ne semblaient que peu affecté.

Cette étude pilote avait pour objectif de tester la logistique, les questionnaires et le protocole. Il y avait un groupe témoin mais pas de groupe placebo. Les prochaines retraites avec ces chercheurs sont déjà prévues, et devraient produire des données plus solides.

🏗️ La technologie commence à bien fonctionner. Elle pose beaucoup de questions à plein de niveaux – champs d’utilisation possible (leurs premiers tests étaient par exemple sur les troubles anxieux, avec des résultats très positifs) et éthiques notamment.

Potentiellement aussi rendre accessible à un plus grand nombre les bénéfices profondément transformateurs d’une pratique de long terme. Ma pudeur de français me retient de promettre la transformation de la société à grande échelle, bien que je sais que ça trotte dans la tête des chercheurs à la tête du laboratoire, mais ça ouvre à coup sûr des perspectives.

Affaire à suivre ! Et n’hésitez pas à commenter pour demander plus ou échanger.

Pour réf:
– le labo situé en Arizona est SEMA labs
– il est dirigé par Shinzen Young (enseignant très reconnu) et Jay Sanguinetti

Se Regarder Changer, Et Lâcher Prise

Toute pratique spirituelle qui se vaut amène vers un degré de plus en plus profond de lâcher-prise, de relâchement de notre petit ego qui cherche à contrôler d’une main serrée ce qui nous arrive.

On comprend bien pourquoi – pour être touché en profondeur, pour vivre ce qui nous transforme il faut nous ouvrir et nous laisser surprendre. Alan Watts disait « si on pense tout le temps, on n’a rien d’autre auquel penser que nos pensées », et cela se généralise à tout notre monde intérieur. Pour grandir et être vraiment touché, il faut nous laisser être transformé.

La pratique de regarder les choses changer – j’ai envie de dire de laisser les choses changer – est un puissant outil pour grandir dans cette direction. Pour observer notre experience être sans cesse renouvelée, il nous faut par définition lâcher l’expérience d’il y a un instant. C’est en réalité ce qui se produit tout le temps : nous avons une « identité », quelque chose qui nous semble important ou qui pré-occupe notre esprit, et puis autre chose arrive et notre identité change, la grande illusion étant qu’on ne remarque pas ce changement.

Par exemple – je suis à la gare et à la recherche d’un sandwich bon marché pour attendre mon train. Je cherche une boulangerie, peut être qu’il y a un peu de frustration de ne pas voir de bonne boulangerie à proximité, mêlée d’inconfort de porter un sac lourd sur les épaules, et mes pensées et mon intention première sont de trouver quelque chose de qualité correcte. Si on me demande qui je suis, je suis quelqu’un qui cherche à manger, un peu frustré par mon environnement. Et puis je trouve, j’achète une baguette (je suis alors un client de la boulangerie), je m’assois (je suis quelqu’un à la recherche d’une bonne place, puis en train de m’asseoir) et je m’apprête à manger (je suis quelqu’un qui cherche à ouvrir l’emballage de mon sandwich). Je prends quelques bouchées, il y a un moment de flottement, je regarde autour de moi, et puis je sors mon téléphone et je suis quelqu’un qui se renseigne sur la crise politique du jour.

A chaque nouvelle identité il y a une transition, parfois une légère tension d’une identité qui s’accroche (quand le train arrive je veux être la personne qui lit son article un peu plus longtemps, et ça me demande un effort de m’arracher à cette identité pour prendre celle d’une personne debout qui s’apprête à monter dans son train). Et notre courte mémoire de travail alliée avec une ignorance inconsciente (mais volontaire !) nous donne l’illusion que notre identité du moment est stable, notre « vraie » identité, qui je suis vraiment. Alors qu’elle ne fait que changer ! Et elle n’a même pas besoin de déclencheur extérieur pour changer – si une fois monté dans votre train vous rêvassez en regardant par la fenêtre et regardez vos pensées, vous verrez qu’un instant vous êtes absorbé dans l’imagination de ce qu’il se passera demain en vacances, et après avoir exploré le plaisir de ce sujet pensée après pensée son attraction se fait moindre (exactement comme la première bouchée d’une glace présente une attraction très forte, et la trentième une attraction bien moindre), et cette force diminuée ouvre la porte à un autre fantasme qui prend sa place, par exemple un souvenir joyeux ou une erreur passée où on imagine avoir agi différemment.

Depuis ce nouvel endroit si vous vous remémorez à quoi vous pensiez il y a quelques instants, le revisitant avant que son souvenir ne disparaisse de notre mémoire (comme le font la quasi-totalité des milliers de moments que l’on vit chaque jour et qui nous paraissent pourtant chacun si importants sur le moment), vous verrez que cet élan terminé il y a quelques secondes à peine parait daté, puéril, sans intérêt. Il y a parfois presque un léger mépris ou condescendance pour la personne qui pourrait être intéressé par ce sujet, elle nous parait étrangère : comment est-ce que j’aurais pu être habité par l’envie de visiter ce fantasme – imaginer le futur, revisiter un souvenir… – ou de prêter attention à une action terminée – chercher une place, ouvrir mon sandwich… – alors que c’est si manifestement vieillot, un peu révulsant ?[1]Si cette phrase vous heurte ou crée une résistance chez vous – prêtez-vous attention à l’expérience intellectuelle de votre réalité, comment est-ce que ça devrait être (« bien … Continue reading Comme la trentième bouchée de glace…

Et pourtant quand vous passez d’un élan à un autre, ce qui vous intéresse et parait important, les valeurs qui s’expriment, qui vous êtes, ont profondément changé. La grande illusion est qu’on ne le remarque pas, et qu’en cet instant il nous semble que nous avons été toujours ainsi, et que si tous les innombrables moments passés n’étaient pas vraiment moi (ou leur intérêt pas vraiment compréhensible par le moi présent), celui-ci, le moment de maintenant, notre envie actuelle, celui-ci est vraiment important, il est différent, c’est sûr. Et on ne se rend pas compte que c’est sans fin, que notre intention présente ne fait que changer et ne nous apporte jamais une paix et une satiété profonde.

Quand on pratique la présence, on apprend à décoller le nez de notre expérience et à gagner un tout petit peu de recul, suffisamment pour voir un peu de ce mécanisme par nous même. Pas comme une idée abstraite mais comme la réalité de notre expérience directe : on voit notre expérience d’être moi, notre système de valeur et d’envies du moment, qui devient de plus en plus central et important… et puis être remplacé par un autre système d’envie et un autre moi. Mais grâce à notre présence on n’oublie pas immédiatement notre nous précédent, et on peut voir qu’il nous semblait si réel et important et que maintenant il est très fade. Et en regardant ce mouvement à répétition, la réalisation commence à émerger : ce moment maintenant, qui me parait si important et si réel, il va aussi se transformer pour ne plus m’intéresser ? Et on le voit se transformer effectivement, la prophétie se réaliser. Et on l’observe encore, et encore, et progressivement on réalise, « Oh. Qui je suis en ce moment, ce qui m’importe et me parait solide, va changer. ». Et on commence à être désenchanté de ce moment – ce qui est un terme positif.

C’est un mot positif parce qu’on se libère de l’enchantement, de l’ensorcellement du moment. Et quand cela se produit, on remet le moment à sa place. Ce n’est pas qu’il n’a plus d’importance ou que je devrais l’ignorer complètement, ou agir de manière non-éthique parce que plus rien ne compte. C’est simplement que cet élan du moment va être remplacé, et que ce moi qui l’habite va être remplacé aussi, et que si je m’y agrippe pour espérer en tirer une stabilité et une satisfaction pleine, il ne peut simplement pas me l’apporter.

Quand vous avez une envie présente, un « craving », observez la vision du monde selon laquelle opère votre esprit. Vous verrez que l’histoire qu’il raconte ressemble à la suivante : « c’est très important que se produise/que j’obtienne/que j’évite X. Une fois que j’aurai ça, ça sera très bien, je serai pleinement satisfait ». Et l’histoire s’arrête là, il n’y a pas de suite ! C’est un peu le « ils vécurent heureux et eurent beaucoup d’enfants » des contes de fée, l’histoire est celle d’une dissolution dans la béatitude, d’une image figée de bonheur statique – d’une mort heureuse. Et puisqu’on opère depuis ce moi du moment c’est logique : il est composé des envies et élans de l’instant qui sont très limités (l’envie de trouver un sandwich, d’arriver à tel endroit, d’avoir telle promotion) et n’aurait aucune idée de quoi faire après avoir atteint son objectif et soulagé sa tension que le crée. Tout comme la grande illusion nous cache la naissance de ce moi pour nous faire croire que nous avons toujours été ainsi, elle nous cache la mort prochaine de ce moi en nous empêchant de nous projeter plus loin en avant – la barrière opaque dans le futur ressemble à une dissolution dans la satisfaction, un infini de contentement qui sera présent pour toujours.

Et bien sûr quand le moi s’étiole, que l’envie ait été satisfaite ou qu’elle ait été remplacée par une autre préoccupation, l’illusion ne se remet pas en question. Il y a un léger flottement, une légère friction tandis que la réalité vient contredire l’expérience fantasmée de ce moi dont l’intérêt est en train de diminuer et autre chose se fait plus pressant, et quand la dissonance devient trop grande une autre envie, compréhension, image de soi, vient remplacer la précédente. A l’évidence cette fois-ci c’est la bonne, c’est certain…

En cultivant la présence en prend du recul, et en voyant cette danse se répéter à l’infini on apprend à relâcher un peu notre crispation envers notre expérience. On sait que ce qui parait impérieux d’un moment à un autre va changer et on est moins sous son emprise. On gagne en liberté et en aisance, et on peut agir d’un endroit plus profond qui vient honorer ce qui nous parait juste. On est moins ballotté par les flots toujours changeants de notre moi du moment et on peut les regarder avec tendresse et compassion, sortant du rôle de parent qui laisse les caprices de l’enfant dicter la relation pour prendre le rôle d’un adulte plein de sagesse et bienveillance.

References

References
1 Si cette phrase vous heurte ou crée une résistance chez vous – prêtez-vous attention à l’expérience intellectuelle de votre réalité, comment est-ce que ça devrait être (« bien sûr que je suis la même personne et que je comprends que j’avais simplement un intérêt différent il y a un instant ») ou à votre expérience viscérale, non-verbale, proto-émotionnelle ? Je parle du second type d’expérience, qui a lieu à un niveau plus bas, et forme l’ensemble des données sur lequel notre système conceptuel se base pour construire sa vision du monde. On prête ensuite attention à ce niveau conceptuel, parce qu’une abstraction est bien plus légère à avoir en tête, et on ne voit plus le bas niveau – jusqu’à ce qu’il diffère suffisamment de notre niveau conceptuel pour nous forcer à le mettre à jour.

7 objections à la pratique de méditation

Traduit de l’anglais sur mindful.org

Qu’est-ce qui, dans un acte aussi simple que de s’asseoir immobile et observer sa respiration, peut susciter la panique, la peur, et même l’hostilité ? La méditation peut certainement être un défi, d’autant plus si nous ne sommes pas sûrs de la raison pour laquelle nous la pratiquons. Cela peut sembler très étrange de rester assis à écouter le bavardage incessant dans notre tête, et nous nous ennuyons facilement si nous ne faisons rien pendant trop longtemps, même si ce n’est que 10 minutes. Après des années à entendre une pléthore de raisons pour lesquelles les gens trouvent difficile de méditer, nous avons réduit cela à quelques-unes seulement.

7 Défis Courants dans la Méditation

1. Je suis trop occupé, je n’ai pas le temps.

Ce qui peut certainement être vrai si vous avez de jeunes enfants et un emploi à temps plein, avec tout ce que cela implique. Cependant, nous ne parlons que de peut-être 10 minutes par jour. La plupart d’entre nous passent plus de temps que cela à faire défiler nos téléphones ou à surfer paresseusement sur le web. Il semble seulement que nous n’ayons pas le temps parce que nous remplissons généralement chaque moment d’activité et n’appuyons jamais sur le bouton pause.

2. Je trouve vraiment inconfortable de rester assis immobile trop longtemps.

Si vous essayez de vous asseoir en tailleur sur le sol, alors oui, cela deviendra inconfortable. Mais vous pouvez vous tenir debout, vous allonger, ou vous asseoir droit dans une chaise ferme et confortable à la place. Ou vous pouvez faire de la méditation en marchant ou du yoga. La méditation en mouvement peut être tout aussi bénéfique que la méditation immobile.

3. Mon esprit n’arrête pas de penser : je n’arrive pas à me détendre.

Je n’arrive pas à méditer. Je n’y arrive tout simplement pas ! Mon esprit ne veut pas se calmer ; il part dans tous les sens ! Mes pensées me rendent fou ! J’essaie de m’éloigner de moi-même, pas de regarder à l’intérieur. Ça vous dit quelque chose ?

Étonnamment, essayer d’empêcher votre esprit de penser, c’est comme essayer d’arrêter le vent – c’est impossible. Dans l’enseignement oriental, l’esprit est décrit comme un singe ivre piqué par un scorpion car, tout comme un singe saute de branche en branche, l’esprit saute d’une chose à l’autre, constamment distrait et occupé. Quand vous vous asseyez immobile et essayez de calmer votre esprit, vous trouvez toute cette activité frénétique en cours et cela semble bruyant. Ce n’est en réalité rien de nouveau, c’est juste que maintenant vous en prenez conscience, alors qu’avant vous y étiez immergé, inconscient que ce bavardage était si constant.

Cette expérience de l’esprit si occupé est normale. Quelqu’un a estimé une fois que dans une seule séance de méditation de 30 minutes, nous pouvons avoir plus de trois cents pensées. Des années d’esprit occupé, des années de ruminations, des années de stress et de confusion et de concentration sur soi, et l’esprit n’a aucune idée de comment être calme. Au contraire, il réclame du divertissement. Ce n’est pas comme si vous pouviez soudainement l’éteindre quand vous méditez, ce qui signifie simplement que vous êtes comme tout le monde.

4. Il y a trop de distractions, c’est trop bruyant.

Nous devons tous faire face aux sons et aux impositions du monde qui nous entoure. Mais – et c’est un grand mais – nous n’avons pas besoin de les laisser s’imposer. Des voitures qui passent dehors ? Très bien. Laissez-les passer, mais ne partez pas avec elles. Le calme que vous recherchez est à l’intérieur, pas à l’extérieur. L’expérience de la tranquillité est cumulative : Plus vous vous asseyez, puis lentement, lentement, l’esprit devient plus calme, plus joyeux, malgré toutes les distractions qu’il peut y avoir.

5. Je ne vois pas l’intérêt.

Il existe de nombreux avantages prouvés de la méditation régulière, mais jusqu’à ce que vous ayez pratiqué pendant un certain temps, vous devrez nous croire sur parole. Certaines personnes comprennent les bienfaits de la méditation après une seule séance, mais la plupart d’entre nous prennent plus de temps – vous pourriez remarquer une différence après une semaine, ou peut-être deux de pratique quotidienne. Ce qui signifie que vous devez faire confiance au processus suffisamment pour tenir bon et continuer, même avant d’en obtenir les bénéfices.

Rappelez-vous, la musique doit être jouée pendant des heures pour bien maîtriser les notes. L’immobilité se produit en un instant, mais il faut parfois du temps avant que cet instant n’arrive – d’où la nécessité de la patience.

6. Je ne suis pas doué pour ça ; je n’y arrive jamais.

En réalité, il est impossible d’échouer en méditation. Même si vous restez assis pendant 20 minutes à penser sans arrêt des pensées sans importance, c’est bien. Il n’y a pas de bon ou de mauvais, et il n’y a pas de technique spéciale. Le professeur de méditation de Deb lui a dit qu’il y a autant de formes de méditation qu’il y a de personnes qui la pratiquent. Tout ce que vous devez faire est de trouver la manière qui vous convient (même si vous préférez le faire en faisant le poirier) et de vous y tenir.

Le point important est que vous vous liiez d’amitié avec la méditation. Cela ne vous aidera pas du tout si vous sentez que vous devez méditer, par exemple, et que vous vous sentez ensuite coupable si vous manquez le temps alloué ou ne faites que 10 minutes alors que vous aviez promis d’en faire 30. Il est beaucoup plus bénéfique de pratiquer pendant un court moment et d’apprécier ce que vous faites que de rester assis, les dents serrées, parce qu’on vous a dit que seules 30 ou même 40 minutes auront un effet. La méditation est un compagnon à avoir tout au long de la vie, comme un vieil ami vers lequel on se tourne quand on a besoin de soutien, d’inspiration et de clarté. Elle doit être appréciée !

7. Ce n’est que du battage médiatique.

Il est certainement facile de se perdre dans la multitude de promesses New Age de bonheur éternel, mais la méditation elle-même est aussi vieille que le monde. Il y a plus de 2 500 ans, le Bouddha était un méditant dévoué qui a essayé et testé de nombreuses façons différentes de permettre à l’esprit d’être calme. Et ce n’est qu’un exemple. Chaque religion et culture a sa propre variation sur le thème, et toutes remontent à des siècles.

En d’autres termes, la méditation ne consiste pas à forcer l’esprit à être absolument immobile. Il s’agit plutôt de lâcher prise sur la résistance, sur tout ce qui peut surgir : le doute, l’inquiétude, l’incertitude et le sentiment d’inadéquation, les drames sans fin, la peur et le désir. Chaque fois que vous trouvez que votre esprit dérive, rêvasse, se souvient du passé ou planifie l’avenir, revenez simplement à maintenant, revenez à ce moment. Tout ce que vous devez faire est d’être attentif et d’être avec ce qui est. Rien d’autre.

Les 7 attitudes fondamentales de la pleine conscience

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Voici les 7 attitudes qui servent de fondation à une pratique de pleine conscience, telles que théorisées par Jon Kabat-Zinn.

Vous pouvez revoir ce document régulièrement, demandant par exemple “Y a-t-il une attitude qui n’est pas ou peu présente ?” ou bien “Y a-t-il une attitude que je peux approfondir encore plus ?”.

Il ne s’agit pas de quelque chose à croiter puis à oublier : chaque attitude est un chemin sans ligne d’arrivée, une boussole pointant vers une direction où votre pratique peut toujours croître en justesse. Bien souvent elles prennent un sens nouveau quand on les revisite, nous guidant vers l’étape suivante de notre pratique.

1. L’esprit du débutant

Si vous regardez votre expérience de ce moment-ci avec un regard neuf, comme si c’était la première fois que vous faisiez une telle expérience, qu’est-ce qui se révèle à vous ? L’esprit du débutant contrecarre notre tendance à ignorer ce qu’on pense avoir déjà fait mille fois, nous fait redécouvrir l’instant, et invite fraicheur et curiosité à l’esprit.

2. Le non-jugement

Il nous permet de sortir de la réaction automatique qui vient catégoriser pensées, sensations, émotions comme “bonnes” ou “mauvaises” – l’expérience est telle qu’elle est, voilà tout. Le non-jugement nous invite à inclure quel que soit qui se présente (y compris une pensée de jugement !) et en prendre simplement note.

3. Le non-effort

Nous passons beaucoup de temps à faire dans nos journées : nous allons d’un point A à un point B, nous accrochons à nos objectifs futurs. L’attitude de non-effort pointe vers une façon d’être plutôt que de faire, d’être avec ce qui se présente sans saisie ni aversion. On pourrait le voir comme le “non-forcer”, ouvert au changement.

4. L’acceptation

Cousine du non-jugement, l’acceptation nous demande d’accepter la réalité du présent tel qu’il est déjà là. Elle n’est pas une attitude de résignation – au contraire, accepter les choses telles qu’elles sont est le premier pas pour agir de manière alignée avec nos valeurs, avec le courage d’accepter de ressentir ce qui est là.

5. La confiance

La confiance soutient notre capacité à nous détendre sans savoir ce qui va survenir dans l’instant suivant. La pleine conscience nous montre que chaque moment est une nouveauté, et la confiance – dans la pratique, notre intuition, notre capacité à répondre avec sagesse dans l’instant  – nous permet de nous y ouvrir pleinement sans le connaître à l’avance.

6. La patience

La patience est la reconnaissance que notre système a son propre rythme, qui n’est pas très intéressé par notre image d’à quoi les choses devraient ressembler ! Soutenue par la confiance, la patience nous permet d’honorer ce rythme et de laisser les choses se dérouler comme elles l’entendent. Notre tâche est simplement de pratiquer.

7. Le lâcher-prise

Il est vrai que notre esprit s’accroche facilement – à des idées, des sensations, des images de nous-même ou des autres. L’attitude du lâcher-prise nous invite à ne pas lutter contre le changement et à ne pas repousser ni agripper ce qui se présente à nous, à lâcher nos idées pré-conçues pour nous ouvrir, encore et encore, à ce que ce moment nous apprend.

Utiliser l'inconfort pour lutter contre la procrastination avec la méditation de pleine conscience
Utiliser l'inconfort pour lutter contre la procrastination, avec l'aide de la méditation de pleine conscience

Utiliser notre aversion pour faire disparaître la procrastination ?

Retourner notre tendance à l’évitement « contre » elle par la pleine conscience pour faire disparaître la procrastination ? Une astuce toute simple qui vient utiliser notre tendance naturelle à l’aversion pour aller dans le bon sens !

Pourquoi procrastine-t-on ?

La procrastination est une stratégie d’évitement : on a une tache à faire qui nous fait naitre une émotion désagréable (la peur du rejet, l’angoisse d’essayer et de mal faire, la frustration d’une démarche administrative…).

Des millions d’années d’évolution ont entraîné notre esprit à répondre en cherchant à diminuer le ressenti désagréable. Si on est en mode pilote automatique, le premier réflexe est de mettre l’émotion sous le tapis – si j’évite la situation et que je fais comme si elle n’existait pas, l’esprit n’a pas à la ressentir, problème réglé !

Le problème est bien sûr qu’on arrive à un minimum local d’inconfort dans lequel on se retrouve coincé. Celles et ceux d’entre nous qui procrastinent connaissent bien cette tension d’arrière plan présente en continu quand on repousse quelque chose, et qui vient gacher tout ce qu’on fait d’autre…

La technique : diminuer la procrastination par la pleine conscience

L’astuce est de diriger notre attention non pas vers l’inconfort que l’on imagine[1]C’est bien un inconfort imaginé – qui a déjà procrastiné quelque chose 6 mois ou plus, pour au final réaliser sa tache en moins de 5 minutes… ressentir en faisant notre tâche, mais vers l’inconfort que l’on ressent maintenant en repoussant la tache, vers cette tension un peu coupable.

On redirige alors toute la force de la tendance ancestrale de notre esprit à éviter l’inconfort, dans le sens d’avancer productivement !

Dans la pratique : c’est une pratique de direction attentionelle (comme on s’entraine à le faire en pratiquant la méditation de pleine conscience), qui demande une petite intentionalité pour garder l’attention sur l’inconfort présent dans l’évitement plutot que sur l’inconfort imaginé de notre tache. Un effort bien moindre que de se forcer à lutter contre de la résistance : plutot que de lutter, on redirige.

Pourquoi ne pas essayer ?

Et pour apprendre à vous entraîner à prendre du recul sur vos émotions et apaiser le mental, auprès d’un ingénieur qui a les pieds sur terre, retrouvez l’agenda des cours et des ateliers par ici ou rejoignez la newsletter.

References

References
1 C’est bien un inconfort imaginé – qui a déjà procrastiné quelque chose 6 mois ou plus, pour au final réaliser sa tache en moins de 5 minutes…
Capture d'écran de forum: "Méditation de pleine conscience, l'art de s'asseoir et ne rien faire"
La méditation est-elle l'art de "s'asseoir et ne rien faire" ?

La méditation est-elle “l’art de ne rien faire” ?

J’ai récemment vu passer le lien d’un forum en ligne dont le slogan était “Méditation : l’art de ne rien faire”. C’est une formule que je vois souvent mal comprise, et j’ai envie de clarifier vers quoi elle pointe. Elle peut donner l’impression que la méditation c’est l’art de perdre son temps, or ça n’est pas du tout ça !

La posture de la pleine conscience est d’observer notre expérience présente sans chercher à la manipuler. C’est une posture différente de notre posture par défaut qui croit, si on regarde de près, que si je ne fais pas quelque chose d’instant en instant tout va s’effondrer. Si je ne stresse pas pour ma présentation de demain ça va mal se passer, si je n’entretiens pas mon émotion de tristesse je ne serai plus vraiment moi, si je ne m’accroche pas à ce sentiment amoureux que je sens maintenant je le perdrai et ma relation se terminera…

C’est un élan de contrôle, une crispation de la part de mon sens d’être moi, qui vient solidifier temporairement mon identité. C’est un effort de tous les instants et c’est fatigant !

Dans la méditation de pleine conscience on vient relâcher cette saisie, cette impression de “je fais”, en accueillant notre expérience telle qu’elle est. Et on découvre que tout ne s’effondre pas. Nos émotions continuent d’exister et de changer, nos pensées et nos identités aussi. On découvre que notre crispation intérieure n’était en fait pas nécessaire, et on laisse à la nature la responsabilité de faire évoluer nos pensées et nos émotions en suivant nos valeurs, plutôt que de prendre la charge d’essayer de le faire nous-même.

C’est en ce sens que la méditation est “l’art de rien faire”, c’est ce mouvement de contrôle qui se détend. Ça ne veut pas dire qu’il ne se passe rien ! D’abord parce que notre expérience continue de se dérouler naturellement dans tous les cas, et puis parce que ce relâchement même la laisse couler avec plus de fluidité.

A un autre niveau de lecture on pourrait dire qu’on “fait” de la méditation, simplement ce “faire” est un mouvement de relâchement qui ne vient pas d’une envie de contrôle. L’image est celle d’une main crispée qui se détend pour en dévoiler la paume. C’est la sagesse qui permet d’agir depuis un endroit de flot, où on laisse la nature faire le travail à notre place.

Comment méditer… les jours où on n’en a pas envie ?

3 techniques pour méditer tous les jours où on n’en a pas envie, et une astuce imparable pour quand rien ne fonctionne

Mise en situation: cela fait un mois et demi que vous pratiquez la méditation de pleine conscience 15 minutes tous les jours (peut être après avoir terminé l’une des formations à la pleine conscience). Et vous voyez des bénéfices : vous remarquez plus de calme, un meilleur sommeil, une diminution des mauvaises habitudes et des pics de stress qui passent plus vite. Vous savez que cela vous fait du bien mais voilà : aujourd’hui, vous n’avez pas envie de méditer.

Je voudrais vous dire que 1/ c’est normal ! Tous les pratiquant·es ont des jours comme ça. Vos outils les plus puissants pour travailler avec seront la compassion, et considérer que c’est une opportunité d’apprendre. Et 2/ vous pouvez agir dans ces situations ! Dans cet article vous trouverez trois puissantes techniques pour travailler avec : Prévoir court, Suivre l’inconfort, Changer le décor.

Technique 1 : « Prévoir court »

Bien souvent quand il y a une résistance à la pratique, c’est qu’il y a une émotion présente qu’on n’a pas envie de regarder (du stress, de l’ennui, de la peur). Notre esprit, qui sait que si l’on se pose pour méditer nous allons y être confronté, vient rationaliser notre évitement en racontant plein d’histoires. Ça peut être « aujourd’hui je n’ai pas le temps », « ça n’est pas grave de manquer un jour », « demain j’en ferai deux fois plus » – plein d’histoires qui ne sont, si on regarde de plus près, pas vraiment ancrées dans la réalité.

« Prévoir court » c’est une façon de rassurer cette part en nous qui n’a pas envie de regarder, d’accueillir l’émotion. C’est dire « d’habitude je fais 15 minutes, et là je vais faire 5 minutes, ou 3 minutes, ou même 1 minute, et voir si j’ai envie de continuer à la fin ».

A cette perspective d’un temps plus court, bien souvent on remarque une diminution de la résistance – cela fait moins peur. L’esprit se rassure : « D’accord pour 3 minutes. Si jamais de l’ennui se montre, je survivrai à 3 minutes ». Cela nous permet de nous asseoir et commencer à pratiquer. Or c’est l’étape la plus difficile, c’est l’inconnu qui fait peur ! On projette, on se dit que ça va être très dur. Et en fait une fois qu’on s’assoit et on est avec, on se rend compte que ça va.

Et à la fin des 1, 3, ou 5 minutes, voyez : est-ce que vous avez envie de continuer, ou est-ce que vous vous arrêtez là ? Si vous vous arrêtez, vous vous arrêtez et c’est bien comme ça. Peut être pourrez-vous refaire une autre pratique courte pendant la journée, profitant de leur coté plaisant, ou bien c’est assez pour aujourd’hui.

Souvent néanmoins, la résistance à méditation en fin de courte pratique n’a rien à voir avec ce qu’elle était avant de commencer. Vous avez alors l’opportunité – précieuse ! – de continuer pour le plaisir. Vous avez « Prévu court » et fait votre temps imparti, votre travail est fait. Est-ce qu’il y a quelque chose d’agréable à continuer de pratiquer être dans le présent de cette manière ? C’est l’occasion d’explorer la pratique non pas comme une contrainte extérieure mais comme quelque chose de vivant pour vous en cet instant, de vous connecter à ce qu’il y a d’agréable dans la pratique.

Rendre les choses agréables, un excellent antidote au manque d’envie de méditer !

Technique 2 : « Suivre l’inconfort », ou le judo intérieur

Lorsque vous n’avez pas envie de méditer, il y a par définition une sensation désagréable qui vous empêche de méditer, une résistance, un inconfort. Quand cet inconfort est intense, si vous essayez de pratiquer votre technique de méditation habituelle et de l’ignorer – en suivant la respiration par exemple, ou en mettant votre attention ailleurs dans le corps – l’expérience va être très désagréable. Vous aurez l’impression d’ignorer quelque chose de volumineux, ce qui va prendre beaucoup de place.

Vous pouvez à la place essayer de « Suivre l’inconfort ». C’est dire que « d’accord je vais méditer, mais ma pratique consistera juste à accueillir cet inconfort, en faire mon objet de méditation, et je ne vais rien essayer de faire d’autre ».

Quelque chose se relâche par cette attitude, on évite l’appréhension première qui anticipait « je vais essayer de suivre ma respiration mais être distrait·e et me juger, et je n’ai aucune envie de vivre ça ». Il y a une intelligence dans cette appréhension : bien sûr que l’esprit sera distrait et inconfortable si vous essayez d’ignorer une grosse émotion !

« Suivre l’inconfort » c’est un peu faire du judo avec notre résistance – parce qu’on peut très bien entraîner notre pleine conscience en observant une émotion inconfortable, et que si on le fait on découvre alors au lieu d’une distraction qu’on doit s’efforcer d’ignorer un objet très présent et stimulant à regarder. Que demander de plus ?

Technique 3 : « Changer le décor »

Parfois, le coussin de méditation semble comme entouré d’un champ magnétique répulsif – impossible de s’en approcher, et encore moins de s’y asseoir. C’est l’opportunité de faire preuve de créativité : puis-je entraîner la pleine conscience, être présent·e à mon expérience sans jugement, dans une autre activité ?

« Changer le décor » ça peut être sortir dehors faire de la méditation marchée, faire la vaisselle en prêtant bien attention aux sensations, faire des étirements ou du yoga en pleine conscience… Si vous essayez, vous verrez qu’il y a des activités où la résistance de l’esprit est bien moindre – il y a une exploration, un amusement joueur, quelque chose d’un peu nouveau.

Et c’est de la vraie méditation, on peut parfaitement pratiquer la pleine conscience tout en étant en mouvement, tout autant qu’assis·e ou allongé·e !

Un mot d’avertissement cependant : pour que « Changer le décor » fonctionne, il faut que vous le traitiez réellement comme une pratique de méditation. Si vous allez juste faire une balade, ou laver la vaisselle, en essayant 2 minutes d’être présent·e et ensuite plus du tout, ça ne marchera pas la prochaine fois. Votre esprit aura enregistré qu’en fait non, ça n’est pas de la méditation mais une distraction et une forme d’évitement : il faut donc vraiment essayer. Je vous recommande par exemple de mettre un chronomètre avec un gong comme vous le feriez pour votre pratique habituelle.

L’astuce imparable pour méditer tous les jours

Dans cet article, nous avons vu trois techniques à appliquer quand vous n’avez pas l’envie ou le temps de faire de la méditation de pleine conscience :

  • « Prévoir court », réduire le temps de pratique à bien plus court que d’habitude, et voir à la fin s’il est agréable de continuer
  • « Suivre l’inconfort », faire du judo avec l’inconfort en faisant de la pleine conscience de la résistance
  • « Changer le décor », pratiquer la pleine conscience dans une activité dynamique (et lui donner vraiment toute son attention)

Et si vous essayez les trois et que rien n’a marché, que le soir venu vous vous apprêtez à vous endormir sans avoir médité aujourd’hui, il vous reste la technique de la dernière chance.

Redressez-vous dans votre lit pour vous asseoir, prenez 3 respirations conscientes, et ça sera la pratique de la journée. Vous aurez médité aujourd’hui ! Bien que ça puisse sembler très simple, cela fait réellement une différence. Vous pouvez maintenant vous endormir l’esprit tranquille.

Félicitations de vous embarquer dans cette aventure qu’est explorer votre esprit. Ce site vise à soutenir ces explorations, n’hésitez donc pas à regarder si l’une des formations à la pleine conscience ou méditations guidées gratuites que je propose vous serait utile.

Je vous souhaite une très belle pratique !

Thanks to Mattia Faloretti

Ce que pensait le Bouddha

[Traduit d’un texte écrit par Culadasa [1]Deux chapitres ont été omis: les 5 Agrégats, et les Douze Maillons de l’Origine Interdépendante., l’auteur principal de l’excellent manuel The Mind Illuminated. Le texte original se trouve ici, le site de l’auteur se trouve ici.]

Introduction

Le Bouddha enseignait, dans ses propres termes, « la Souffrance et la fin de la Souffrance».Il n’avait pas l’intention d’établir une religion, ni d’enseigner la philosophie, la cosmologie et la métaphysique, ce qu’il a répété à maintes reprises.

En fin de compte, cependant, la fin de la souffrance implique une sorte de sagesse qui englobe à la fois la nature de l’expérience humaine et la nature ultime de la réalité. Et la fin de la souffrance, la nature de l’expérience humaine et la nature ultime de la réalité sont des questions clés en religion, philosophie, cosmologie et métaphysique. Il n’y avait donc aucun moyen pour lui de guider les gens vers la fin de la souffrance sans aborder des sujets associés à tous ces domaines. En conséquence, depuis avant même sa mort, les gens ont transformé ses enseignements de sagesse en religions et les ont utilisés comme base pour une variété de philosophies, cosmologies et descriptions métaphysiques de la réalité.

Alors que le Bouddhadharma devient plus largement connu et apprécié en Occident, nous nous retrouvons attirés par de nombreuses idées qui ont une application directe à notre expérience du 21ème siècle. Inévitablement, nous voilà en train de nous tourner vers ces enseignements pour y trouver des réponses à nos propres questions religieuses, philosophiques et métaphysiques. Avant de le faire, cependant, nous devons essayer de comprendre, aussi clairement que possible, ce que pensait le Bouddha lui-même. Cela implique de dépouiller les enseignements bouddhistes que nous avons reçus de tout le bagage religieux et philosophique qui a été ajouté à d’autres époques par d’autres cultures.

Une question qui revient souvent est: «Comment pouvons-nous savoir si quelque chose que nous lisons ou entendons sur le bouddhisme reflète vraiment les propres enseignements du Bouddha.» D’un côté, il est difficile de le savoir avec certitude, mais en même temps, il existe plusieurs outils que nous pouvons utiliser. Je vais en souligner trois ici.

Tout d’abord, quand il délivra son premier enseignement à ses anciens compagnons, qui connaissaient bien les diverses doctrines spirituelles de l’époque, il a dit:

«Sont nées en moi la vision, la connaissance, la sagesse, la perspicacité, l’illumination concernant des choses jamais entendues auparavant[2][NdT] Les citations du Bouddha sont traduite par moi depuis leurs versions anglaises incluses dans le texte de Culadasa, qui sont non sourcées.

Par conséquent, toute doctrine appartenant à une autre tradition non bouddhiste, et plus particulièrement tout enseignement religieux largement accepté avant la naissance du Bouddha, devrait automatiquement être considérée comme suspecte.

Deuxièmement, les enseignements authentiques du Bouddha présentent un niveau étonnant de cohérence interne. Chaque fois que vous rencontrez une incohérence, un côté ou l’autre de celle-ci doit être écarté ou réinterprété d’une manière qui entraîne un retour à la cohérence. Lorsque vous devez choisir entre deux déclarations, choisissez toujours celle qui est la plus cohérente avec tout le reste de ce que le Bouddha a dit et fait.

Enfin, rappelez-vous que le Bouddha a hésité à enseigner après son Éveil, se disant à lui-même:

«Ce Dhamma que j’ai atteint est profond et difficile à voir, difficile à découvrir… impossible à atteindre par simple rationalisation, subtil, destiné à l’expérience des sages… Si j’enseignais ce Dhamma, les autres ne me comprendraient pas, et ce serait fatigant et gênant pour moi.

Assez d’enseigner le Dhamma
Que même moi j’ai trouvé difficile à atteindre;
Car il ne sera jamais perçu
Par ceux qui vivent dans la convoitise et la haine.
Les hommes imbibés de convoitise, et qu’un nuage
De ténèbres baigne, ne verront jamais
Ce qui va à contre-courant, est subtil, 
Profond et difficile à voir, abstrus.»

Heureusement, le Bouddha a décidé de passer outre et d’enseigner quand même. Mais tout ce qui semble trop simple, trop facile à saisir sans réflexion sérieuse, peut être au mieux une simplification excessive. Au pire, cela peut être une doctrine qui s’est glissée d’une autre religion. Pour autant, rappelez-vous que la pensée du Bouddha est subtile plutôt que complexe. Tout ce qui est intellectuellement alambiqué et compliqué ne vient probablement pas non plus du Bouddha. Ce qui rend parfois le véritable enseignement de Bouddha difficile à comprendre, c’est qu’il est très différent de la façon dont nous sommes habitués à penser les choses. Toute la logique derrière les enseignements du Bouddha est très simple, mais elle nous oblige à abandonner certaines hypothèses fondamentales. Si nous ne sommes pas disposés à faire cela, les enseignements sembleront impénétrables. Et si nous essayons de déformer ces enseignements pour les adapter à des idées préconçues, nous nous retrouverons plongés dans toutes sortes de rationalisations alambiquées.

La Souffrance et la Fin de la Souffrance: les Quatre Nobles Vérités

En ce qui concerne la souffrance, le Bouddha faisait une distinction entre les expériences désagréables qui proviennent du corps et le type de mécontentement et de malheur d’origine mentale. Il a souligné que c’est en fait la réaction de l’esprit aux sensations corporelles désagréables qui fait de la douleur physique une source de souffrance. De plus, toutes les souffrances que nous éprouvons autres que la douleur physique est générée entièrement par l’esprit. La signification de ceci est que, bien que la maladie, les blessures, le vieillissement et la mort soient inévitables, et qu’il ne soit pas en notre pouvoir de les empêcher d’affliger notre corps, nous avons potentiellement beaucoup plus de pouvoir et d’influence sur ce qui se passe dans notre esprit. Nous pouvons résumer cela en disant: «La douleur est inévitable, mais (avec un entraînement mental approprié) la souffrance est facultative.» C’est ce qu’on appelle la Vérité sur la Souffrance.

Le Bouddha poursuit en soulignant que la résistance à ce qui est, vouloir que les choses soient différentes de ce qu’elles sont, est associée à chaque instance de souffrance. Il souligne en outre que, lorsque nous nous trouvons en train de souffrir, si nous pouvons identifier précisément ce à quoi nous résistons et abandonner cette résistance, la souffrance disparaît au même moment. Cela peut se résumer en disant: «L’envie que les choses soient différentes de ce qu’elles sont est la cause racine de toutes les souffrances.» C’est ce qu’on appelle la Vérité sur la Cause de la Souffrance.

En ce qui concerne la fin de la souffrance, le Bouddha nous dit que notre envie[3][NdT] Craving en anglais désigne une envie impulsive ou impérieuse – comme une envie de sucreries après une journée difficile, par exemple. Pour alléger le texte, chaque fois que ce terme … Continue reading est motivée par l’ignorance et l’illusion. Tant que nous sommes pris au piège de l’illusion, notre envie continuera sans fin, ainsi que nos souffrances. Mais l’ignorance peut être éliminée grâce à une profonde Sagesse qui surmonte l’illusion dans laquelle nous sommes piégés. Une fois que nous sommes libérés de l’illusion, à la fois l’envie et la souffrance cessent également. En d’autres termes, «Quand la Sagesse amène la fin complète et permanente de l’envie, il y a aussi une fin complète et permanente de la souffrance.» C’est ce qu’on appelle la Vérité sur la Fin de la Souffrance.

Le Bouddha a tracé un chemin en huit parties menant à cette Sagesse, composé de : 1. la Compréhension Juste, 2. l’Intention Juste, 3. la Parole Juste, 4. l’Action Juste, 5. les Moyens de Subsistance Justes, 6. l’Effort Juste, 7. la Concentration Juste, et 8. la Pleine Conscience Juste. Ceci est généralement décrit comme «le Chemin Octuple vers la Fin de la Souffrance», et est également connu comme la Vérité sur le Chemin vers la Fin de la Souffrance.

Le Chemin Octuple

Le Chemin Octuple est divisé en trois parties: La première division se compose de la Compréhension Juste et de l’Intention Juste. Elle fournit une compréhension intellectuelle de la Sagesse qui surmonte l’ignorance, cette division est donc appelée celle de la Sagesse. Ici, le Bouddha expose en détail ses propres observations sur la façon dont les choses sont réellement, et nous demande de vérifier la véracité de ces observations en investiguant attentivement et en réfléchissant sur notre propre expérience. C’est là que les bases sont posées pour les deux prochaines divisions.

La deuxième division du Chemin, appelée Éthique, se compose de la Parole Juste, de l’Action Juste et des Moyens de Subsistance Justes. Ce sont des pratiques réalisées au cours de la vie quotidienne afin de changer nos manières conditionnées de voir et de réagir aux choses. Fondamentalement, en pratiquant l’Éthique, nous nous re-conditionnons loin des vues et des compréhensions erronées qui découlent de notre vision ignorante et illusionnée de la réalité.

La troisième division est la Méditation, consistant en l’Effort Juste, la Concentration Juste et la Pleine Conscience Juste. Ce sont les pratiques d’entraînement de l’esprit qui nous permettent d’avoir le genre d’expériences qui valident les vérités que nous avons étudiées et comprises intellectuellement. L’effet combiné de toutes les trois divisions, les huit parties de l’Octuple Sentier, est que nous atteignons une réalisation intuitive de la Sagesse qui met fin à l’ignorance, à l’envie et à la souffrance.

Nous apprendrons ce que pensait le Bouddha en étudiant ses enseignements sur la division de Sagesse du Chemin. Ce sont ces mêmes pensées qui ont été utilisées dans la formulation de diverses philosophies religieuses bouddhistes et systèmes métaphysiques à travers les âges. Gardez à l’esprit, lorsque vous examinez les enseignements sources, que le but premier du Bouddha était toujours plus pratique que théorique. Cela se reflète dans les différentes manières de parler et hypothèses philosophiques et religieuses qu’il adoptait en s’adressant à différentes personnes – guerriers et rois, marchands, laïcs sans instruction, ses propres disciples, brahmanes, adeptes d’autres enseignants, etc. Il serait facile de supposer qu’il était d’accord avec les croyances religieuses des personnes à qui il parlait, simplement parce qu’il ne les a pas contredites. Mais ce n’est pas nécessairement le cas. Assez souvent, plutôt que de remettre en question les croyances que quelqu’un avait déjà et de prononcer une sorte de plus grande vérité, il allait simplement à la rencontre des gens là où ils se trouvaient et essayait de les guider vers une compréhension plus juste et plus profonde. Cela peut être déroutant pour quelqu’un qui vient chercher plus tard des informations de nature absolue dans les enseignements du Bouddha, qui sont nombreux et variés. Ces derniers doivent donc toujours être interprétés dans le contexte où ils ont été donnés, en tenant compte de la personne à qui le Bouddha parlait et du point qu’il exposait à l’époque. Néanmoins, si nous faisons attention, nous pouvons toujours avoir une assez bonne idée de ce que le Bouddha pensait vraiment

Ce que Pensait le Bouddha

L’Origine Interdépendante

Au cœur même de l’enseignement du Bouddha, nous trouvons l’idée de l’Origine Interdépendante (aussi appelée «Coproduction Conditionnée»). Chaque fois que vous rencontrerez ce terme, il sera utilisé de l’une de deux manières: soit pour décrire un principe général fondamental – que toutes choses apparaissent en fonction de causes et de conditions multiples; ou comme une description spécifique d’un processus mental clé – à savoir les «douze maillons de l’origine interdépendante». Ici, nous l’abordons dans sa forme plus générale.

Nous commençons notre discussion de ce que pensait le Bouddha avec l’Origine Interdépendante parce que, dans ses sens à la fois général et spécifique, elle est la base des autres concepts spécifiquement bouddhistes du karma, de la réincarnation, de la façon dont la souffrance se perpétue et de la possibilité de s’en libérer par la réalisation de l’impermanence, de la vacuité et du non-soi. Ce sont des «concepts spécifiquement bouddhistes» en ce que, bien qu’ils partagent une terminologie commune avec d’autres systèmes de croyance, ces termes prennent une signification complètement différente dans les enseignements du Bouddha à leur sujet. Malheureusement, cela crée un grand potentiel d’incompréhension, et en effet ces malentendus sont devenus assez répandus dans les religions nombreuses et diverses que désigne l’appellation unique de «bouddhisme».

L’Origine Interdépendante dans son sens général est exprimée dans la formule simple: 

Quand ceci est, cela est.
Quand ceci se produit, cela se produit.
Quand ceci n’est pas, cela n’est pas.
Quand ceci cesse, cela cesse.

Pour la plupart d’entre nous aujourd’hui, cela semble être du bon sens. Néanmoins, très peu d’entre nous apprécient pleinement toutes les implications de ces simples déclarations. Le Bouddha était très conscient de la difficulté pour les gens de comprendre pleinement l’Origine Interdépendante. Le Ven. Ananda lui dit un jour qu’il trouvait cette doctrine évidente et facile à comprendre. Le Bouddha répondit:

«Ananda, ne dis pas cela. La doctrine de l’origine interdépendante est si profonde que les êtres sensibles sont incapables de la comprendre. Ils sont incapables de comprendre ce que j’enseigne parce qu’ils sont incapables de percevoir ce processus. Par conséquent, ils sont perplexes comme devant une pelote de laine emmêlée, un enchevêtrement d’herbes de munja. Ils ne peuvent pas se libérer de la souffrance, des états de privation, de dégénérescence et de transmigration. »

Les implications subtiles de l’Origine Interdépendante sont les suivantes:

  1. Rien se tient en dehors de la cause et l’effet.

En d’autres termes, tout ce qui arrive a une cause. Aucune exception. Rien ne peut arriver sans cause.

De plus, tout ce qui arrive produit des effets. Toujours. Rien de ce qui arrive n’est jamais sans conséquences.

Par conséquent, tout ce qui semble être «surnaturel» ou «magique» n’apparaît ainsi que parce que nous n’en comprenons pas pleinement les causes. Les lois de causalité sont jamais violées.

  1. Tout ce qui apparaît dû à des causes et des conditions doit également disparaître.

Lorsque la cause est absente, il ne peut y avoir aucun effet. Lorsqu’il n’y a aucun effet, c’est qu’il n’y a pas de cause.

Lorsque la cause cesse, l’effet disparaît également. Lorsque l’effet cesse, c’est que la cause a cessé.

Tout, ainsi, est impermanent.

  1. Tout ce qui survient le fait en fonction de plusieurs causes et conditions.

Nous pensons généralement à la relation de cause à effet comme à une relation linéaire, avec une cause conduisant à un effet. Mais tout événement réel implique en fait la présence simultanée de plusieurs causes et conditions.

Et si nous énumérons toutes les causes et conditions immédiates nécessaires à un effet particulier, chacune d’elles dépend à son tour de multiples causes et conditions. Et ainsi de suite, dans un réseau de causalité toujours plus large.

Chaque chose ou événement individuel est le noeud d’une convergence causale massive.

  1. Les causes et les effets surviennent toujours ensemble.

Nous considérons généralement la cause et l’effet comme deux entités distinctes, la cause précédant toujours l’effet.

Mais l’effet potentiel est déjà présent dans chaque cause contributive, avant même que toutes les autres causes et conditions nécessaires se soient produites. Et toutes les causes contributives sont intrinsèquement présentes dans chaque effet. La cause et l’effet ne sont pas des entités séparées, apparaissant et disparaissant les unes après les autres.

Au contraire, ils font partie d’un processus continu, avec toutes les causes contributives et tous les effets possibles intrinsèquement présents dans chaque partie du processus.

L’apparition et la disparition de «choses» séparées est une illusion. Il n’y a qu’un processus unique et continu.

  1. Tout, partout, est interconnecté causalement.

Parce que la causalité est un processus continu unique, et parce qu’absolument tout a des causes et des conditions multiples, et parce qu’absolument tout produit des conséquences multiples, tout est interdépendant de tout le reste.

L’Origine Interdépendante est parfois appelée Co-Apparition Interdépendante pour cette raison même.

Absolument tout et tout le monde est une partie interpénétrante et inséparable d’un tout unique, indivisible, causalement interdépendant, qui est le mieux décrit comme étant un processus.

La plupart des occidentaux avec une éducation scientifique se trouveront parfaitement à l’aise avec l’Origine Interdépendante en tant que principe général, mais peu d’entre eux ont jamais pleinement réfléchi aux cinq implications énumérées ci-dessus, en particulier les trois dernières.

Comme l’a dit un érudit bouddhiste, Rupert Gethin, «… le secret de l’univers réside dans la nature de la causalité – la façon dont une chose mène à une autre». Le Bouddha est arrivé à l’Origine Interdépendante en tant que principe universel à travers une combinaison de logique et d’expérience. Nous arriverons exactement aux mêmes conclusions si nous analysons soigneusement notre propre expérience du monde. Il n’est pas possible, bien sûr, d’observer tous les évènements possibles pour examiner leurs causes sous-jacentes. Ce n’est pas non plus nécessaire. Les logiciens bouddhistes ont par la suite fourni un soutien logique rigoureux pour cet enseignement particulier du Bouddha. Mais chacun de nous doit se convaincre par soi-même que c’est vrai.

Les Trois Caractéristiques

L’ignorance que le Bouddha a identifiée comme étant à la racine de l’envie est l’ignorance de trois faits particuliers qui caractérisent l’existence humaine. Ces Trois Caractéristiques sont:

  • l’Impermanence ( anicca en Pali et anitya en sanskrit)
  • l’Insatisfaction ( dukkha en Pali et duhkha en sanskrit)
  • le Non-soi ( anatta en Pali et anatman en sanskrit)

L’illusion créée par l’ignorance des trois caractéristiques est la croyance erronée que:

  • nous sommes des entités distinctes et durables, dans un monde d’autres entités distinctes et durables, et
  • notre souffrance et notre bonheur dépendent de ce qui nous arrive, de nos interactions avec ces autres entités.

La Sagesse qui éradique l’ignorance et surmonte l’illusion vient de la réalisation de ces Trois Caractéristiques.

L’Impermanence

L’impermanence fait référence au fait que toutes les choses conditionnées sont dans un état constant de flux [voir #2 des cinq Implications de l’Origine Interdépendante].

Souvent, nous agissons et réagissons comme si les choses étaient plus permanentes qu’elles ne le sont en réalité, devenant bouleversés et malheureux lorsqu’elles changent, même si nous savons tous et toutes que ça n’est pas utile. Ce genre d’impermanence ne nécessite aucune réalisation spéciale pour être comprise, même si cela demande plus de perspicacité que la plupart d’entre nous n’en ont de vivre en accord avec. Mais le Bouddha pointait vers une sorte d’impermanence beaucoup plus radicale qui va entièrement au-delà de celle-ci.

En réalité, il n’y a pas du tout de «choses». Pas même des «choses» existant temporairement qui apparaissent brièvement et qui disparaissent à nouveau en raison de causes et de conditions. En fin de compte, il y a seulement du flux [voir Implication # 4 de l’Origine Interdépendante], et la simple apparence de choses qui surgissent et disparaissent en changeant d’une forme à une autre. Mais ne vous y trompez pas, cela ne signifie pas que «rien n’existe». Cela signifie plutôt qu’il n’y a que du processus pur. C’est la voie médiane du Bouddha qui évite les vues extrêmes tels que «tout existe» et «rien n’existe».

Le Non-Soi

Le Non-Soi est la négation de l’idée qu’il y a une essence individuelle propre à une personne, un vrai Soi, ou Atta, ou Atman.

Il y a, bien sûr, le système unique et en constante évolution des processus psychophysiques, des phénomènes mentaux et physiques, de l’esprit et du corps que nous identifions habituellement comme étant une personne. Mais il n’y a pas d’entité individuelle, séparée et durable en dehors de cela.

Sachant que nous allons mourir, la croyance même en un Soi séparé nous fait souffrir à cette perspective, et bien que la réponse ne puisse jamais être connue, la question de ce qui se passe après la mort revêt une grande importance. Sommes-nous nés pour lutter et souffrir toute notre vie, pour être seulement anéantis à notre mort? Une certaine forme d’existence continue pourrait à première vue sembler préférable. Mais pour ceux qui croient en un Soi continuellement réincarné, la perspective devient bientôt celle d’une souffrance sans fin, solitaire, étant à jamais séparés et en conflit constant avec tout ce qui est Autre. C’est tellement horrible à contempler qu’avant la venue du Bouddha, le but spirituel le plus élevé de beaucoup était de trouver une échappatoire au cycle sans fin de la réincarnation. Souvent, cela signifiait des pratiques spirituelles spécifiquement destinées à provoquer l’annihilation du Soi à la mort. D’autre part, ceux qui croient que le Soi est inévitablement anéanti à la mort, quelque soit ce que l’on fasse, tendent souvent vers l’hédonisme ou vers un nihilisme amoral.

L’autre problème vraiment majeur associé à la croyance en un Soi séparé est qu’elle s’accompagne de la croyance que le bonheur et la souffrance sont le résultat de ce qui arrive au Soi. Cela fait de la frontière entre le Soi et l’Autre une ligne de bataille. Le Soi doit constamment s’efforcer d’obtenir les choses et de créer les circonstances qui apportent le bonheur et la satisfaction, luttant contre d’autres Sois séparés pour ce faire. Et il doit faire de même pour éviter toutes ces choses et circonstances qui le font souffrir. Mais cela nous ramène aux deux premières Vérités du Bouddha, la Vérité de la Souffrance et la Vérité de la Cause de la Souffrance : ce qui nous arrive peut certainement provoquer l’apparition de sensations agréables et désagréables. Mais ce n’est que la réaction de notre propre esprit à ce qui se passe qui transforme une sensation désagréable en une expérience de souffrance. De même, le bonheur vient aussi de l’intérieur, de l’esprit lui-même, non de ce que nous possédons ou de ce qui nous arrive. Il ne peut y avoir de fin à la souffrance avant que la Vérité du Non-Soi ne soit réalisée.

La notion selon laquelle il existe un Soi en dehors des phénomènes mentaux et physiques que nous appelons une personne est appelée éternalisme (que l’on pense que ce Soi dure éternellement ou juste pour une période de temps finie). L’éternalisme est la base de la croyance en un Soi ou une âme qui survit après la mort. Cependant, comme nous l’avons vu, chaque chose ou événement individuel, y compris une personne individuelle, est le lien d’une convergence causale massive [Implication # 3]. Et tout ce qui survient en raison des causes et des conditions est impermanent et doit également disparaître [Implication # 2]. De plus, les «choses» séparées, y compris un Soi séparé, ne sont qu’une illusion. En fin de compte, il n’y a que du processus [Implication # 4].

Cependant, ce serait une erreur de penser que la doctrine du Non-Soi transforme simplement le Soi en un ensemble de processus mentaux et physiques, plutôt qu’en une entité séparée. Si tel était le cas, alors lorsque ces processus se termineraient à la mort, le Soi cesserait d’exister. Ce n’est pas différent de dire que le Soi n’est que le corps et l’esprit, et que ce Soi cesse d’exister lorsque le corps meurt. Cette perspective est appelée annihilationnisme, et est tout aussi égarée que l’éternalisme. L’éternalisme et l’annihilationnisme sont toutes deux des vues erronées contre lesquelles le Bouddha nous a mis en garde à plusieurs reprises.

La doctrine du Non-Soi est beaucoup plus radicale et finalement beaucoup plus attrayante que l’une ou l’autre de ces perspectives incorrectes. Elle déclare qu’il n’y a pas de Soi qui pourrait survivre ou être anéanti à la mort, simplement parce qu’aucun Soi de ce genre n’existe maintenant, n’a jamais existé ou n’a jamais pu exister. Si nous regardons la notion de l’individualité de plus près, on voit qu’elle n’a de sens que par contraste avec quelque chose qui n’est pas le Soi, qui est autre que soi. L’essence même du Soi est la dualité et la séparation, donc être un Soi, c’est être séparé. Pourtant, nous avons vu qu’absolument tout et tout le monde, y compris une personne individuelle, est une partie interpénétrante et inséparable d’un ensemble unique, indivisible, causalement interdépendant [Implication # 5]. Dans cette vision holistique de la réalité, il n’y a pas de place pour des processus séparés qui se terminent indépendamment du tout.

Pour ceux qui ont réalisé la vérité du Non-Soi, il n’est pas nécessaire de demander ce qui se passe après la mort du corps. Le Bouddha refusait en effet fermement de répondre à toutes ces questions, suggérant qu’elles étaient inutiles et une perte de temps. Cependant, parlant dans l’idiome commun de l’époque, puisque le but de la pratique spirituelle était si souvent la fin de la réincarnation cyclique, l’accomplissement de l’Éveil était communément appelé avoir atteint la «naissance finale» et la «fin de la renaissance».

Comme nous le verrons plus tard, le Bouddha utilisait souvent la terminologie populaire de son temps, en changeant le sens pour l’adapter à son propre enseignement. Lorsque nous examinerons l’application spécifique de l’Origine Interdépendante connue sous le nom des «Douze Maillons», nous constaterons que l’idée même de renaissance y a reçu une signification nouvelle, très différente de celle de la réincarnation.

La Vacuité

Bien que n’étant pas à l’origine articulée comme telle par le Bouddha, la Vacuité est un terme plus général qui combine les Vérités de l’Impermanence et du Non-Soi. La Vacuité fait référence au fait que toutes choses, y compris le Soi, sont Vides d’existence propre et Vides de nature propre.

Toute apparence de «chose intrinsèque» est une illusion, projetée par l’esprit sur différents aspects d’un processus unique et interconnecté dans sa totalité indivisible. Ce que nous appelons des «choses» ne sont rien de plus que des convergences momentanées de causes et de conditions, des noeuds en constante évolution de relations causales. Et un «noeud momentané» n’a pas non plus d’existence indépendante. Rappelez-vous, la réalité est qu’un tel noeud appartient à un tout totalement interconnecté, et donc où que vous regardiez dans cette réalité, vous trouverez un tel noeud causal [Implication # 3 de l’Origine Interdépendante]. Comme un œil regardant à travers un tube une partie vide du ciel, l’esprit regardant à travers les organes sensoriels pointe une convergence causale particulière, parmi une infinité de telles convergences, comme étant un objet à un moment donné. Chacun de ces noeuds est réel et unique, son «existence» dépendant de causes et de conditions. Mais son existence indépendante, sa séparation, est une illusion projetée dessus par l’esprit.

En d’autres termes, l’«existence» de «choses» séparées, telles qu’elles sont, dépend non seulement des causes et des conditions, mais de l’esprit qui perçoit comme cause aussi. Notre expérience subjective d’une «chose» est appelée un dhamma. Les dhammas sont des phénomènes mentaux, créés par l’esprit et n’existant que dans l’esprit. Le contenu de tout dhamma spécifique est également créé par l’esprit et n’existe que dans l’esprit.[4]La seule exception importante à cela est l’unique dhamma dont le contenu est le Nirvana ou la Vacuité. Le contenu de ce dhamma est une absence, qui est incréée. C’est ce que cela signifie de dire que «toutes choses sont Vides d’existence propre.» Mais cela ne veut pas dire que les dhammas ne sont pas réels. Juste que les contenus spécifiques, les objets de l’expérience consciente, n’ont pas d’existence séparée en dehors de l’esprit. Et cela s’applique également au Soi personnel. Cela ne signifie pas non plus que «rien existe en dehors de l’esprit». Il y a une Réalité Ultime. Nous faisons partie de cette Réalité Ultime, et c’est la source de nos expériences sensorielles. C’est juste que nous ne pouvons pas la connaître en elle-même. Tout ce que nous pouvons jamais connaître sont les représentations mentales, les «histoires» fabriquées par l’esprit pour rendre compte de ces expériences.

Dans chaque cas où l’esprit impose une essence intrinsèque de «chose», il prend les informations fournies par les organes sensoriels et les organise et les étiquette d’une manière qui leur donne du sens pour lui. Cette signification est alors la «nature» perçue de la chose. Des esprits différents imputeront différentes natures aux mêmes objets sensoriels, et le même esprit imputera des natures différentes au même objet à des moments différents. C’est ce que cela signifie de dire que «toutes choses sont Vides de nature propre.» L’esprit crée sa propre réalité et impute une nature à cette réalité. Cela ne veut pas dire que la Réalité Ultime n’a pas de nature propre. Cela signifie simplement qu’elle est Vide de toute nature autre, créée par l’esprit. En d’autres termes, la nature de la Réalité Ultime n’est pas ce qu’elle semble être à l’esprit, et ne peut jamais être connue directement par lui. Mais cela ne signifie pas que nous ne pouvons rien savoir sur cette nature. L’Origine Interdépendante, l’Impermanence et la Vacuité sont toutes des choses très importantes que nous savons à propos de la Réalité ultime par inférence.

L’Insatisfaction

L’insatisfaction fait référence au fait que la vie, de par sa nature même, est difficile, imparfaite, et a des défauts. Une satisfaction profonde et durable, un vrai bonheur, une libération totale de la souffrance ne peuvent jamais être atteints tant que nous comprenons mal la nature de l’expérience humaine et la vraie nature de la réalité.[5]Le terme dukkha a un large éventail de significations, et les différentes manières dont le Bouddha l’utilise à différents moments se répartissent en plusieurs catégories distinctes. La … Continue reading

Les contenus, créés par l’esprit, des dhammas et la réalité qu’ils tentent de représenter co-apparaissant de façon conditionnée ne peuvent jamais être la source d’autre chose que les plus éphémères des plaisirs. Ce qui est impermanent, fabriqué par l’esprit et dépourvu de toute nature propre ne peut jamais apporter le bonheur. Tant que l’esprit postule les objets d’expérience comme étant réels en eux-mêmes, s’y agrippant en tant que sources de bonheur ou les fuyant en tant que causes de souffrance, le résultat sera l’insatisfaction. Un esprit qui se perçoit comme étant, ou faisant partie, d’un Soi séparé, sera toujours dans un état de lutte perpétuelle et futile avec ce qu’il perçoit comme Autre. La réalité de l’Origine Interdépendante signifie que toutes les tentatives pour contrôler ce qui nous arrive sont vouées à l’échec. Mais c’est la nature même de notre esprit humain de nous percevoir nous-même comme étant séparés, et de supposer que nos états transitoires de bonheur et de souffrance sont le résultat de nos interactions avec d’autres entités séparées. Ce n’est qu’en transcendant notre nature au travers de la sagesse qu’apportent ces Réalisations, et en abandonnant l’illusion qui mène à l’envie, que nous pourrons jamais trouver un bonheur véritable et durable.

Le Karma

La croyance en la rétribution karmique était très répandue en Inde et existait déjà depuis très, très longtemps avant le Bouddha. La croyance en la réincarnation était également très répandue et existait aussi depuis très longtemps. Nous devons donc poser un regard historique sur la forme qu’avaient ces idées avant l’arrivée du Bouddha sur la scène afin d’apprécier comment il les a transformées.

La théorie de la rétribution karmique était assez simple: que chaque action ait des conséquences est un fait évident, bien connu de tous. La rétribution karmique se réfère plus spécifiquement aux conséquences qui reflètent la qualité morale d’une action. Les gens font constamment des choses qui sont bonnes ou mauvaises à un degré ou un autre. Et toutes sortes de choses différentes, apparemment aléatoires, leur arrivent, dont certaines sont bénéfiques et d’autres sont nuisibles. La théorie de la rétribution karmique relie simplement ces deux éléments pour faire du monde un endroit juste et équitable. Selon cette théorie, les conséquences d’actions moralement bonnes sont des événements bénéfiques, qui récompensent celui ou celle qui performe ces bons actes. De même, les actions moralement mauvaises produisent des conséquences douloureuses. Il n’y a qu’un pas simple à franchir d’ici à une théorie globale du karma dans laquelle tout ce qui se produit est la conséquence morale d’actions bonnes ou mauvaises faites dans le passé. Une fois qu’une personne comprend comment fonctionne le karma, alors elle sait également ce qu’elle doit faire pour assurer une existence heureuse dans le futur.

Cette théorie de la rétribution karmique avait cependant un problème majeur. Des gens paraissent souvent bénéficier d’actions cruelles et injustes, tandis que les comportements justes, gentils et généreux semblent souvent ne pas être récompensés. De mauvaises choses arrivent aux personnes bonnes et de bonnes choses arrivent aux personnes mauvaises. La réincarnation résout ce problème, car elle permet aux actes et aux conséquences karmiques de se produire dans des vies différentes. Par nécessité, les notions de réincarnation et de rétribution karmique sont devenues étroitement liées. Non seulement la «loi» du karma exigeait la réincarnation pour qu’elle ait un sens, mais le karma en est venu à être considéré comme la véritable cause de la réincarnation.

Cette combinaison de karma et de réincarnation aidait à donner un sens à ce qui semblait sinon être un monde arbitraire et injuste. Elle donnait une méthode facile à saisir pour atteindre la santé, la richesse et le bonheur, fournissait une raison solide pour agir moralement et rendait l’inévitabilité de la mort un peu plus acceptable. Mais elle laissait encore beaucoup à désirer. Cette vie dans ce monde continue d’être pleine de souffrances. Et même si, en comprenant la loi du karma, une personne créait du bon karma pour sa prochaine vie, elle ne se souviendrait pas de l’avoir fait. Ainsi, elle pourrait très bien se retrouver à dilapider les fruits de ce bon karma tout en se créant plus de mauvais karma par ignorance. Non seulement cela, mais si on considère tout le mauvais karma accumulé au cours d’un nombre incalculable de vies passées, il nous reste encore beaucoup de souffrances à récolter. Il suffit de regarder autour de soi pour voir que la vie est imprégnée de nombreuses formes différentes de souffrance, commençant avec la naissance et continuant avec la perte de ce qui est cher, les blessures, la maladie, le vieillissement et la mort.

La souffrance de cette vie ainsi que le cycle continu de la naissance, de la souffrance, de la mort et de la renaissance (peut-être mieux décrit comme le cycle de «souffrance, mort, renaissance, plus de souffrance et re-mort») en sont venus à être connus comme le Samsara. Au moment de la naissance du Bouddha, le but de beaucoup, sinon de la plupart, des traditions spirituelles et religieuses en Inde était devenu la libération de la rétribution karmique et une évasion de la «roue du Samsara», le processus perpétuel de réincarnation. En d’autres termes, le thème commun de nombreuses religions différentes avant que le Bouddha ne prononce son premier mot était «la libération du Samsara». Cette libération n’avait lieu qu’après que la mort ait mis fin à cette vie présente, était considérée comme très difficile à réaliser et pouvait bien ne pas être atteinte durant de très nombreuses vies à venir.

Si tout cela ressemble beaucoup à la façon dont vous avez entendu les bouddhistes décrire le karma, vous avez raison. Cela étant, vous devriez vous demander: «Alors, est-ce vraiment l’enseignement du Bouddha sur le karma, et sinon, en quoi son véritable enseignement diffère-t-il de ce qui l’a précédé?» C’est précisément ce que nous voulons regarder ici. Il y a une subtilité dans la version du karma du Bouddha qui est beaucoup trop facilement et trop souvent manquée par même les plus ardents bouddhistes.

Pour commencer, le Bouddha lui-même n’a pas atteint sa libération après la mort. Au contraire, il est devenu pleinement éveillé, complètement libéré du Samsara à 35 ans, et a continué à vivre et à enseigner dans le monde pour 45 ans de plus ! Cette notion de parvenir à la libération de son vivant et en étant actif dans le monde était tout à fait révolutionnaire. En fait, la première personne qui a rencontré le Bouddha après son éveil, un moine ascétique nommé Upaka, a remarqué qu’il y avait quelque chose de très spécial en lui et l’a questionné à ce sujet. Quand le Bouddha lui a dit qu’il était complètement Éveillé, Upaka s’est juste moqué et s’est éloigné en secouant la tête. Personne d’autre qu’un imbécile n’aurait jamais dit des choses aussi stupides ! Le moqueur aurait été beaucoup plus à l’aise en parlant avec des bouddhistes tibétains ou theravadins plus tardifs, qui s’accorderaient pour dire que l’Éveil est extrêmement rare et prend de nombreuses vies d’efforts ardus à réaliser !

Mais le Bouddha a passé 45 ans non seulement à dire à tout le monde que l’Éveil peut être atteint dans cette vie, mais à guider des milliers de personnes pour réussir à le faire pour elles-mêmes. Il a enseigné que n’importe qui suivant sa méthode pourrait être libéré dans cette vie même, pas après la mort, et certainement pas après un nombre incalculable de vies futures. D’ailleurs, le Bouddha a découragé quiconque de même penser à d’où nous venons ou à ce qui se passe après la mort. Il considérait ces questions comme une perte de temps et une distraction par rapport à la seule question de réelle importance, à savoir la libération de la souffrance et l’Éveil en cette vie.

De plus, après son Éveil, le Bouddha est dit avoir habité dans la perfection du Nirvana. Donc pendant ces 45 ans entre son Éveil et son décès final, le Nirvana a pris la forme d’une existence humaine dans ce monde même. Ceci est très différent de la vision pré-bouddhiste qui égalait cette vie et ce monde comme le Samsara. L’exemple du Bouddha nous dit que la différence entre le Samsara et le Nirvana n’a rien à voir avec le fait que vous soyez ou non sous forme humaine, et que vous viviez ou non dans ce monde. La libération et le Nirvana ne consistent PAS à s’échapper de ce monde et de cette vie. Au contraire, la libération de la souffrance et l’Éveil de l’ignorance vous permettent d’embrasser la vie et de vivre plus pleinement. Notez l’autre changement important qui s’est produit: le Nirvana a été entièrement intériorisé. Le Nirvana n’a rien à voir avec l’endroit où vous êtes et la forme extérieure de votre existence.

Revenons maintenant au karma. Il est très difficile de concilier l’Origine Interdépendante avec l’idée que tout ce qui vous arrive est une conséquence morale de vos actions passées. Cette théorie du karma ferait absolument tout dépendre d’un ensemble très limité de causes. Mais l’une des implications de l’Origine Interdépendante est que tout ce qui survient le fait en fonction de plusieurs causes et conditions [Implication #3]. Même si nous limitons le karma aux conséquences morales spécifiques de certains actes moraux tout aussi spécifiques, nous devons en quelque sorte suspendre tout autre type de causalité qui pourrait autrement interférer avec l’accomplissement de ce karma. Mais une autre des implications de l’Origine Interdépendante est que rien se tient en dehors de la relation de cause à effet, que les lois de la causalité ne sont jamais violées [Implication #1].

L’ancienne théorie de la rétribution karmique nous conduit également à nous concentrer sur la création d’un bon karma afin que de bonnes choses nous arrivent à l’avenir, et à éviter le mauvais karma pour éviter que de mauvaises choses ne se produisent. Cela a du sens tant que nous croyons que la bonne fortune nous rend toujours heureux et que les évènements malheureux causent toujours de la souffrance. Mais cela ne correspond tout simplement pas à l’expérience de la vie réelle. Beaucoup de gens fortunés sont malheureux et vice versa. De plus, rappelez-vous que d’après les Vérités de la Souffrance et de la Cause de la Souffrance, et d’après l’Insatisfaction en tant que l’une des Trois Caractéristiques, la souffrance et le bonheur ne sont pas causés par ce qui vous arrive. En fait, croire que la souffrance ou le bonheur dépendent de ce qui vous arrive fait partie de l’illusion qui cause la souffrance. La souffrance et le bonheur sont la façon dont votre esprit réagit à ce qui vous arrive. Si cela est vrai, il n’y a aucune garantie que faire de bonnes actions apportera le bonheur. Pire encore, les bons actes que nous faisons, s’ils sont motivés par la croyance et l’espoir de récompenses futures, ne font que renforcer l’illusion qui est à la racine même de notre souffrance

Avec ces problèmes à l’esprit, regardons de plus près la version du karma selon le Bouddha. Le point de vue du Bouddha sur la causalité peut être exprimée comme suit: l’expérience du présent est façonnée par les intentions et actions dans le passé et le présent. Les intentions et les actions dans le présent façonnent à la fois le présent et l’avenir. Les résultats des intentions et des actions du passé et du présent interagissent continuellement. Notez que chaque déclaration comprend à la fois intentions et actions. Comme nous le verrons, la façon particulière dont le mot karma est utilisé en référence à l’intention est précisément ce qui rend la version du Bouddha si différente des anciennes idées de rétribution karmique. Les intentions et les actions sont deux catégories distinctes de causes. Il est donc très important de ne pas confondre ni mélanger actions et intentions les unes avec les autres, et que nous comprenions clairement les différences entre elles.

L’intention comme Karma

Bien que le mot karma signifie littéralement «action», à l’époque du Bouddha il en était venu à signifier plus précisément une action qui produisait des conséquences morales pour son auteur. Le Bouddha a redéfini le karma, en disant:

«L’intention, je vous le dis, est kamma.[6][NdT] kamma est le mot pali pour karma, qui est un terme sanskrit. Culadasa utilise le mot karma, plus connu dans notre langue, dans ses explications, mais les citations du Bouddha sont tirées des … Continue reading En formant des intentions, on fait du kamma par le biais du corps, de la parole et de l’esprit.»

Redéfinir le karma de cette manière fait une différence subtile mais profonde. Dire que le karma n’est PAS l’action, mais plutôt l’intention derrière l’action signifie que les conséquences morales résultent de l’intention, pas de l’action. L’action elle-même peut produire toutes sortes d’autres effets sur la personne qui réalise l’action, agréables, désagréables ou ni l’un ni l’autre. Mais ces effets sont le résultat d’une causalité matérielle. Ce ne sont pas des conséquences morales. Les conséquences morales sont le résultat d’une sorte de causalité mentale qui agit directement sur l’esprit de celui ou celle qui a formé l’intention.

Tout comme il l’a fait avec le Nirvana, le Bouddha a déplacé à la fois le karma et ses conséquences hors du domaine matériel et dans le domaine mental. Cela permet aux actions et à leurs conséquences d’obéir aux lois de la causalité matérielle selon l’Origine Interdépendante, et recentre le karma et ses conséquences en tant que processus interne. De plus, ces conséquences morales ne sont pas affectées par le succès ou l’échec de l’action envisagée. Tant que l’intention est là, le résultat karmique sera produit.

Actions et intentions

Nous pouvons distinguer deux types d’actions respectivement à l’intention. Premièrement, il y a des actions réflexes involontaires qui n’impliquent aucune intention. Ce sont des choses comme le réflexe rotulien, la façon dont vous clignez des yeux quand quelque chose leur arrive dessus et dont vous retirez votre main lorsque vous touchez quelque chose de brûlant. L’autre type d’action est l’action intentionnelle. Celles-ci sont intentionnelles dans le sens où elles impliquent toujours une forme de volonté consciente, que ce soit maintenant ou dans le passé.

L’intention est le précurseur de tout acte de parole et de corps hors des mouvements purement réflexes. Certes, certaines actions intentionnelles peuvent devenir automatiques. Elles peuvent être si automatiques qu’elles ressemblent à des réflexes. Mais ce ne sont pas des réflexes, elles sont dirigées par des intentions inconscientes. Ces actions n’étaient pas à l’origine automatiques, et les intentions derrière elles n’étaient pas inconscientes. Certaines intentions sont donc conscientes, sujettes à réflexion, évaluation et modification avant que l’action ne se produise. D’autres sont inconscientes, produisant automatiquement un acte corporel, de parole ou d’esprit avant même que nous ne prenions conscience de l’intention. Mais avant qu’une intention ne puisse produire une action pour la première fois, elle doit devenir une intention consciente. Cela signifie que toute intention inconsciente qui produit une réaction automatique dans le présent doit avoir été une intention consciente à un autre moment dans le passé. Ces actions ne sont devenues automatiques que par répétition consciente et intentionnelle, et on peut donc encore bien dire tous les actes, même automatiques, ont pour origine une intention consciente.

L’intention provoque donc l’action, mais qu’est-ce que l’intention? On peut définir une intention comme: une impulsion, vers une activité particulière, qui est dirigée vers un objectif particulier. Les intentions sont des formations mentales qui produisent des effets directement sur l’esprit, et indirectement sur le monde matériel via le corps. Chaque mouvement de l’esprit – chaque pensée, idée et émotion – est une activité mentale motivée par une intention, et a un objectif à atteindre. Chaque mot et chaque action corporelle est également précédé d’une intention, et tout comme les mouvements de l’esprit, nos paroles et nos actions sont des moyens vers une fin spécifique. L’objectif final et les moyens pour atteindre cet objectif sont tous les deux inhérents à l’intention. Par exemple, lorsque vous ressentez une démangeaison, elle s’accompagne d’une envie de se gratter. Le grattage est le moyen, le soulagement de la démangeaison est le but.

Comment le karma en tant qu’intention provoque-t-il une augmentation ou une diminution des souffrances futures? La cause de la souffrance est l’envie. La cause de l’envie est la croyance ignorante que nous sommes un Soi séparé dans un monde qui est Autre, et que notre bonheur et notre malheur dépendent de ce que nous pouvons obtenir ou éviter de ce monde. Le but et les moyens pour y parvenir, inhérents à toute intention donnée, ont été façonnés par la vision du monde opérant dans l’esprit qui génère cette intention.

Les intentions malsaines ont leurs racines dans l’ignorance des Trois Caractéristiques et dans l’illusion correspondant à cette ignorance. La force motrice derrière ces intentions vient de l’envie, sous forme de cupidité ou d’aversion. Lorsqu’une telle intention naît dans la conscience, elle sera soit bloquée ou modifiée, soit approuvée et autorisée à donner lieu à une action. Si elle est approuvée dans la conscience, à la fois la vision du monde qu’elle représente et la force motrice qui la sous-tend sont validées et renforcées. C’est ainsi que des intentions malsaines approfondissent notre ignorance et notre illusion, et nous rendent encore plus sujets aux forces de la cupidité et de l’aversion dans le futur. Puisque l’ignorance et l’illusion sont à la racine de l’envie, et puisque l’envie est la cause de la souffrance, les conséquences karmiques des intentions malsaines sont plus de souffrances dans l’avenir.

Les intentions saines ont leurs racines dans la sagesse et la juste compréhension et sont, par conséquent, des Intentions Justes (au sens du Chemin Octuple). Leur force motrice est une forme de non-cupidité et de non-aversion, comme la générosité, la bonté, la patience et la compassion. Lorsqu’une telle intention est approuvée dans la conscience, la Compréhension Juste est renforcée et l’ignorance et l’illusion sont sapées. Le pouvoir que l’envie détient sur nous est affaibli et nous sommes moins sujets à la souffrance. Ainsi, les conséquences karmiques d’intentions saines sont non seulement moins de souffrance à l’avenir, mais un mouvement vers le Nirvana et loin du Samsara.

En d’autres termes, les actes motivés par l’ignorance, le désir et l’aversion rejaillissent sur vous en renforçant l’ignorance et l’envie, vous rendant plus vulnérable à la souffrance à l’avenir peu importe ce qui vous arrive. À l’inverse, les actes motivés par l’altruisme, la prévenance, la générosité et l’amour bienveillant rejaillissent sur vous en vous rendant moins vulnérable à la souffrance et plus enclin au bonheur, peu importe ce qui vous arrive en conséquence. C’est aussi simple que ça.

Les conséquences matérielles dans le monde des actions bonnes ou mauvaises ne sont pas sans importance. Ce qui vous arrive à vous est le résultat d’une causalité physique, biologique et psychologique, et dépend certainement, au moins en partie, de ce que vous dites ou faites. Mais ce qui vous arrive à vous n’est pas une conséquence morale. La conséquence morale du bon et du mauvais karma, c’est-à-dire des bonnes et mauvaises intentions, se manifeste non pas au travers de ce qui vous arrive, mais au travers du genre de personne que vous êtes à qui ces choses arrivent. Et qui nous sommes, fruit de nos intentions karmiques, a également une influence sur ce qui nous arrive. Où nous nous trouvons, les circonstances dans lesquelles nous nous trouvons, la compagnie dans laquelle nous sommes, la manière dont nous sommes perçu par les autres et de nombreux autres facteurs sont aussi déterminés par qui nous sommes. Mais cela aussi est du domaine des conséquences matérielles plutôt que morales, et est aussi le résultat d’autres types de causalité, pas du karma.

Le bon karma sous forme de bonnes intentions nous pousse vers le Nirvana et la libération, et loin de la souffrance. Le mauvais karma sous forme de mauvaises intentions nous pousse vers le Samsara et une souffrance accrue. C’est la loi du karma enseignée par le Bouddha. Vu de cette façon, le karma peut être utilisé comme une force puissante pour nous rapprocher de l’Éveil dans cette vie même. Et puisque le karma ne nie pas les autres formes de causalité, nous avons plus de raisons que jamais de travailler pour apporter des changements positifs dans le monde au travers de nos actions.

References

References
1 Deux chapitres ont été omis: les 5 Agrégats, et les Douze Maillons de l’Origine Interdépendante.
2 [NdT] Les citations du Bouddha sont traduite par moi depuis leurs versions anglaises incluses dans le texte de Culadasa, qui sont non sourcées.
3 [NdT] Craving en anglais désigne une envie impulsive ou impérieuse – comme une envie de sucreries après une journée difficile, par exemple. Pour alléger le texte, chaque fois que ce terme apparaît, il sera simplement traduit par « envie ».
4 La seule exception importante à cela est l’unique dhamma dont le contenu est le Nirvana ou la Vacuité. Le contenu de ce dhamma est une absence, qui est incréée.
5 Le terme dukkha a un large éventail de significations, et les différentes manières dont le Bouddha l’utilise à différents moments se répartissent en plusieurs catégories distinctes. La Vérité sur la Souffrance fait une distinction entre dukkha comme une sensation physique désagréable ou une douleur ordinaire (appelée dukkha-dukkha), et dukkha comme une souffrance mentale (parfois appelée domanassa dukkha). Ici dukkha se réfère à la fois au stress d’essayer de s’accrocher à des choses qui changent constamment (vipariṇāma-dukkha), et à l’insatisfaction subtile de la vie parce que des objets Vides et des états conditionnés ne peuvent jamais satisfaire nos espoirs et nos attentes (saṃkhāra-dukkha).
6 [NdT] kamma est le mot pali pour karma, qui est un terme sanskrit. Culadasa utilise le mot karma, plus connu dans notre langue, dans ses explications, mais les citations du Bouddha sont tirées des textes pali et reprennent donc les termes de cette langue.

Pratique: s’imprégner du positif

Les expériences positives que l’on a, comme ressentir un sentiment d’affection, de connexion, de sécurité, sont forcément temporaires.

Pourtant, si on se laisse les utiliser pleinement, ces ressentis ponctuels peuvent petit à petit façonner le cerveau pour renforcer la résilience, la satisfaction et l’ouverture de manière durable.

La méthode 📖

La méthode est très simple et on l’a déjà explorée en cours: il suffit de rester quelque temps au contact avec l’expérience quand elle apparaît, plutôt que de passer directement à la chose suivante.

Prendre quelques respirations, prendre le temps d’autoriser le sentiment plaisant à s’absorber physiquement, se laisser vraiment apprécier le caractère nourrissant de ce qu’il se passe. 🌿

En méditation, on n’a vraiment pas grand chose à faire – simplement former l’intention de se tourner dans une bonne direction et laisser les choses changer par elles-mêmes, sans besoin de forcer.

Ça nous connecte à la fois à de l’humilité et à du soulagement: on va cultiver les bonnes conditions, mais ça n’est pas nous qui faisons le gros du travail ! 🤗

Comment l’explorer

La technique a été beaucoup explicitée sous cette forme par Rick Hanson, un psychologue très impliqué en neurosciences et méditation qu’on a vu dans le cycle.

Il l’illustre avec un exercise dans son Ted Talk de façon chouette et concrète: le voici. (Sa partie « Link » peut être un peu à part, c’est comme toujours comprendre le mécanisme qui va nous intéresser 🤓)

Bonnes explorations ! 🌳

La torpeur en méditation

Le sujet revient régulièrement : que faire quand il y a de la torpeur ou de l’engourdissement en méditation ?

D’ABORD, SE RÉJOUIR 👍

D’abord, se réjouir de s’en être aperçu – félicitations ! On sera forcément engourdi.e à nouveau un jour ou l’autre, et c’est une super opportunité d’apprendre à l’accueillir habilement.

RECONNAÎTRE LA TORPEUR 🧐

Quelques signes que de la torpeur forte est présente:

  • l’objet de méditation devient brumeux, a moins de clarté
  • des visions hypnagogiques ou fantasmatiques apparaissent, un peu comme quand on va s’endormir
  • on commence à s’affaisser et se redresser en sursaut

LES CAUSES DE LA TORPEUR

Classiquement, les causes de la torpeur peuvent être triples.

D’abord, le manque de sommeil ! 😴 On est souvent en dette de sommeil, et quand on s’assoit pour méditer on s’en rend compte.
Solution: Prendre une bonne nuit de sommeil quand c’est possible fait partie de la pratique.

L’esprit est moins stimulé que d’habitude ☁️ : Vous commencez à avoir un peu moins de distractions pendant la méditation. C’est une étape normale en attendant qu’il apprenne à s’énergiser de lui-même.
Solution: Rien d’autre à faire que d’appliquer les antidotes, et il s’habituera.

Et enfin dans certains cas, la torpeur peut être une stratégie d’évitement. 🙄 Si un conflit interne ou une émotion inconfortable remonte à la surface, l’esprit peut réagir avec une forte torpeur pour l’éviter.
Solution: Se demander, est-ce qu’il y a quelque chose que je n’ai pas envie de voir en ce moment ?

ANTIDOTES ⚗️

Quelques antidotes, par ordre de force croissante:

  • avoir l’intention d’avoir plus de clarté sur l’objet de méditation (par exemple, au début de l’inspiration former l’intention de voir la fin de l’inspiration avec beaucoup de détails)
  • changer d’objet de méditation pour quelque chose de plus large (par exemple, les sensations du corps entier au lieu de la respiration seule)
  • prendre deux ou trois respirations en gonflant vraiment les poumons, puis en expirant au travers des lèvres pincées
  • ouvrir les yeux
  • contracter tous les muscles du corps jusqu’à trembloter puis relâcher (plusieurs fois)
  • méditer en marchant

POUR ALLER PLUS LOIN : UN ANTIDOTE « MAGIQUE » 🧙‍♀️

Et si tout ça ne fonctionne pas, vous pouvez prendre la torpeur elle-même comme objet de méditation.

Investiguez qu’est-ce vraiment que de la torpeur, par exemple…

  • Comment est-ce qu’elle est exactement ressentie dans mon corps (lourdeur dans mon ventre, légèreté dans ma poitrine, membres anesthésiés… ?)
  • Par quels effets est-ce qu’elle affecte exactement mon esprit (plus ou moins de détails sur l’objet de méditation, plus ou moins de pensées parasites, est-ce qu’elles sont plus courtes, plus longues…) ?
  • De quoi est constitué ce qu’on appelle « torpeur » ?

Parfois cette investigation même fait disparaître la torpeur comme par magie, et de toute façon petit à petit vous apprenez quelque chose sur votre expérience personnelle – top.

SUR LE LONG TERME

La torpeur en elle-même est confortable, et essayer de s’en dépêtrer est assez désagréable. C’est normal et ça fait partie du processus.

Sur le long terme vous prendrez petit à petit le coup de main – elle apparaîtra toujours parfois mais vous serez en terrain connu et elle sera accueillie automatiquement.

Comme toujours, il est utile d’apporter de la curiosité au processus et de savoir que vous n’êtes pas en train d’échouer parce qu’il y a de la torpeur présente – vous êtes en train d’explorer. 🤠